atypie-utopie

 

 

vincennes,

 

Naissance d'une université

 

 

mai 1968-Janvier 1969

 

 

 

 

 

Rémi Faucherre

 

 

 

M a î t r i s e  d'H i s t o i r e

 

 

Sous la direction de Michelle PERROT

 

Université Paris 7-Diderot

Unité de Formation et de Recherche: Géographie-Histoire

 et Sciences Sociales

 

Année 1991-1992


 

 

A mon père et à Bernard Weber

 

Remerciements

 


 

Introduction                                                              

I) L’université de la revendication étudiante                  

     (printemps 1968 )

 

A)L’université en questions: critiques et projets jusqu’en Mai 1968

     1)  La réforme Fouchet                                                                   

     2)   Les colloques                                                      

     3)  Les syndicats: UNEF et SNESup                            

 

B) Mai 1968 et la réforme de l'Université                           

     1)  Les commissions de la Sorbonne                           

     2)  “Le groupe d’Assas” - La Faculté de Nanterre                               

    

II) La réponse politico-technico-administrative (été-automne 1968 )

 

 A)  L'État

     1)  Edgar Faure et De Gaulle                                      

     2)  Le Cabinet d’Edgar Faure                                      

 

B)  Le travail des enseignants

     1)  Les fondateurs: une équipe d’universitaires             

     2)  La commission d'orientation                                   

     3)  Le noyau cooptant                                                

 

C)  Les moyens 

     1)  L’intendance : finances et commerce                      

     2)  La construction de Vincennes                                 

     3)  L'administration                                                     

 

III) L'élaboration de la pédagogie (été-automne 1968  )

 

 A) Interdisciplinarité

     1) Le système des Unités de Valeur                            

     2) Notation continue et nouveaux diplômes                   

     3) Interdisciplinarité                                                    

     4) L’enseignement comme recherche                           

 

B) Rapports étudiants-enseignants

     1)Nouveaux rapports étudiants/enseignants et déhiérarchisation                

     2) Cogestion                                                              

     3) Suppression du cours magistral                               

     4) Petits groupes de travail                                         

 

C) Ouverture

     1) Ouverture aux non bacheliers salariés                      

     2) Année continue et journée continue                          

     3) Enseignement orienté vers les études contemporaines

     4) Ouverture à l’ensemble du monde                           

     5) Ouverture de l’Université à de nouvelles disciplines   

     6) Mise en pratique de la théorie                                 

     7) Ouverture aux enseignants associés et étudiants en fin d’études  

 

 

IV) L’apport étudiant et le devenir de Vincennes           

      ( l’automne 1968 et au delà )

 

A) L’apport étudiant  (automne 1968)                               

 

B)  La situation à la rentrée universitaire  ( janvier 1969)    

                               

C) Vincennes en perspective  (à partir de janvier 1969)     

                   

V) Conclusion                                                               

 

 

 

      Documentation

                bibliographie                                                           

                sources                                                                  

 

 

      Annexes

                Chronologie                                                                

                Témoins interviewés                                                              


 

 

INTRODUCTION

 

 

La naissance de Vincennes: mai 1968-janvier 1969. Pourquoi ces limites chronologiques? La limite amont me semble être le véritable démarrage du projet ; Vincennes était certainement en germe avant 1968, mais la crise de mai a permis à ce germe d’éclore. La limite aval est représentée par la rentrée universitaire à Vincennes et cette rentrée marque une rupture en ce que la préparation qui précède diffère radicalement de ce qui, avec la présence des étudiants, va suivre. Il aurait pu être intéressant aussi de clore à la date de juin 1969 qui marque la fin de la première année universitaire: fondation et  première année auraient formé un tout. J’ai choisi de ne m'intéresser qu'à la fondation et, du même coup, j’ai un peu mis de côté le rôle considérable que vont jouer les étudiants à partir de janvier. Ce travail reste à faire. C’est en effectuant cette recherche, en effet, que je me suis rendu compte, ce dont je n’avais pas conscience au départ, que le rôle des étudiants n’ a été effectif qu’à partir de la rentrée de janvier mais qu’il devient alors essentiel comme il l’a été pour la naissance de Vincennes (mai/juin 1968). Ses fondateurs avaient tellement peur de voir le projet mis à mal par les contestataires de mai, qu’ils ont préféré ne pas les y associer durant ces deux à trois mois, qui étaient d'ailleurs ceux de leurs vacances. D’autre part, les étudiants, tenus à l’écart, ont montré leur hostilité à un projet considéré comme récupéré par le pouvoir. La difficulté initiale des inscriptions à Vincennes en est peut-être un signe.

 

Il reste peu de documents écrits sur cette période [1]. J’en vois une raison en ce que 1968 met en avant la parole, la communication orale et la spontanéité, un certain “désordre”; l’esprit de l'époque n’était pas à figer un événement, à conserver une parole ou le souvenir d’un acte par écrit. Beaucoup de décisions concernant Vincennes ont été prises lors de réunions, assemblées ou concertations impromptues ou improvisées où le compte-rendu était le dernier des soucis. Il nous reste la mémoire des individus.

 

Ce travail présente la particularité de s’appuyer principalement sur les témoignages de ceux qui ont connu la Vincennes2  de cette époque, recueillis ces derniers mois. J'ai pu effectuer 28 entretiens dont 24 directement et quatre au téléphone.

 

Ce panorama de la fondation de Vincennes est donc essentiellement la vision qu’en ont gardée 24 ans après ces 28 témoins à travers leurs filtres, leurs oublis, leurs exagérations...Ce récit est peut-être éloigné de ce qu’a été réellement la suite des événements;  il est plutôt ce qu’il en reste, 24 ans après, dans la tête de ceux qui en ont été les acteurs.

 

Leur tradition orale s’est révélée assez différente de celle dont j'avais connaissance avant de commencer ce travail. Pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque, Vincennes est restée dans les esprits une sorte de mythe. Je pensais qu'elle avait été bâtie dans l’euphorie de mai 1968 et notamment par le mouvement  des étudiants et des travailleurs. J'ai découvert une histoire différente. Ce qui est resté dans l’inconscient collectif, quelqu’opinion qu’on ait encore aujourd’hui de ce qu’a représenté Vincennes, correspond mieux à la période qui va suivre, au delà de janvier 1969: à partir de là les étudiants seront pleinement de la partie.

 

Je demande au lecteur d'être prudent. Cette étude comporte probablement des approximations, voire des incertitudes. La faible documentation écrite, la fragilité des témoignages humains, 24 ans après et surtout , le temps qui m'a fait défaut ont été autant d'obstacles à une appréhension plus fine de la vérité.


 

 

 

 

 

 

 L'UNIVERSITÉ DE LA REVENDICATION ÉTUDIANTE

 

    (printemps 1968)

 

L'UNIVERSITÉ EN QUESTION: CRITIQUES ET PROJETS JUSQU'EN MAI

 

La crise de mai 1968 n'est pas survenue sans prodromes, si l'on parle de l'enseignement en tous cas. Sans vouloir en faire un examen détaillé, brosser rapidement le tableau de la réforme Fouchet et des deux colloques de Caen et d’Amiens permet de donner un aperçu assez caractéristique des idées dont étaient imprégnés les concepteurs de Vincennes et leur entourage, surtout si on les éclaire par les réflexions des deux principaux syndicats d'étudiants et d'enseignants, l’UNEF et le SNESup.

 

1) La réforme Fouchet

 

    La réforme Fouchet, Ministre de l'Éducation nationale à l'époque, crée les IUT, les Instituts universitaires de technologie; elle réforme le second cycle et la formation des maîtres; elle allonge la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Elle est mise en application à l’Université à la rentrée 1966.

 

    Le gouvernement la présente comme le remède à la crise des effectifs;  telle ne va pas être l’analyse du monde éducatif. Elle est dénoncée par l’ensemble de la classe politique et par les syndicats notamment l’UNEF et le SNESup : il s’agit d’une réforme au rabais qui, en fait, raccourcit les études pour la grande masse des enseignés, dévalorise la formation des maîtres (2 ans au lieu de 4), réserve la recherche à une élite sévèrement triée par l'accès au troisième cycle. Les connaissances sont parcellisées. Elles sont dispensées à ceux qui suivent l’enseignement technique, les enfants du prolétariat. Les IUT dispensent une formation trop rapide et trop spécialisée: ils créent une réserve pédagogique en marge des facultés dans laquelle pourront puiser les entreprises.


 

2) Les colloques

 

Une série de colloques, au cours  des années 6O se sont attachés à établir un état du système éducatif et à analyser comment on pourrait le réformer. Ils regroupent le monde éducatif et son entourage.

 

Le colloque de Caen, les 11,12 et 13 novembre 1966, a été organisé par l’AEERS, l’Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique, dont le président est André Lichnerowicz. Le ministre de l'Éducation Nationale Christian Fouchet, et le ministre délégué à la Recherche Scientifique, Alain Peyrefitte, y assistent. Il est évident pour les pouvoirs publics, à l'époque, que l’on court à la catastrophe: autant prendre les idées là où elles se trouvent.

 

Trois tendances s'y dégagent : une tendance conservatrice opposée à toute modification de structures et c’est une minorité; une tendance technocratique, partisante de réformes de structures et c'est une majorité; une tendance radicale, comprenant l’UNEF, la direction du SNESup et des individualités, essentiellement des chercheurs, minoritaire.

 

L'idée que l’Enseignement supérieur a pour mission un enseignement de masse, l’éducation permanente, l’intensification et la diversification des élites y est développée. Une exigence de rénovation profonde des universités, dans leur structure, leurs méthodes, leur pédagogie, y fait apparition.

 

Les débats aboutissent à des propositions de réforme.

 

Les structures doivent être réorganisées; les Facultés et les chaires seraient remplacées par des Universités dotées de départements d’enseignement et de recherche.

 

L’Université doit établir de nouveaux rapports avec l'économie; elle peut bénéficier d'une pluralité de financement, ses budgets étant établis après des travaux de prospective associant universitaires et industriels, lesquels seraient alors associés à sa gestion.


 

La formation des maîtres doit être repensée à tous les degrés d’enseignement; elle doit comporter, outre des connaissances académiques, une formation psychologique et professionnelle et une remise à jour périodique des connaissances.

 

La nomination des enseignants doit se faire sur critères scientifiques et non plus seulement sur titres et il est proposé que les experts étrangers soient consultés pour cette nomination.

 

Le colloque d’Amiens (15,16,17 mars 1968) est à nouveau organisé par l’AEERS dont le président n'a pas changé. Le thème en est la formation des maîtres et la recherche en éducation. Le ministre de l’éducation national Alain Peyrefitte et le secrétaire national du SNESup (syndicat national de l’Enseignement Supérieur), Alain Geismar, entre autres, y sont présents. Ce dernier terminera son discours de clôture (très engagé politiquement) par ces mots prémonitoires: “La volonté d’innovation véritable et progressiste se mesure dans les lois d‘orientation, les lois-programmes et les budgets, ou bien par la grève et dans la rue".

 

Ce colloque établit un certain nombre de constats: inadaptation de l’enseignement; manque d’ouverture sur l’extérieur; pauvreté des communications à l’intérieur des établissements; rigidité paralysante de l’architecture scolaire; retard incroyable de la formation des maîtres et de la réflexion sur l’éducation (dans un pays qui avait pourtant donné au monde le modèle des premières écoles normales).

 

Il aboutit à une série de propositions: la nation a besoin d'une éducation permanente; il est impossible de différer la mise en place d’une politique nationale de rénovation éducative qui suppose une planification de l’enseignement et une formation supérieure pour les instituteurs; l’enseignement doit préparer à la vie active; l’accent doit être mis sur la recherche interdisciplinaire. Il y a nécessité de mieux étudier et connaître les besoins des enfants, des adolescents et des adultes et, plus généralement, de plus de communication ce qui implique que les chercheurs et les praticiens de l’éducation utilisent les mêmes outils de communication.


3) Les syndicats: UNEF et SNESup

 

L'UNEF

 

Les revendications de l'Union nationale des Étudiants de France (UNEF) en matière d'enseignement supérieures se sont exprimées dans les années soixante par de nombreuses revendications:

 

Planifier l'enseignement supérieur en fonction des besoins réels et à long terme de l'économie

Nationaliser totalement l'enseignement supérieur (que rien ne soit dévolu au système privé)

Moderniser le contenu de l'enseignement

Assurer une formation polyvalente

Valoriser la formation théorique plus que la formation pratique

Unifier l'enseignement supérieur: qu'il relève partout d'une seule et même autorité administrative et que toutes les formations aboutissant  au même métier soient unifiées en un seul et même système et un seul et même type d'établissement

Refuser le numerus clausus

Mettre l'accent sur la méthodologie

Créer des équipes pédagogiques

Instituer une évaluation progressive et permanente gérée non par un enseignant mais par l'ensemble de l'équipe pédagogique

Mettre en place des allocations d'étude attribuées sur des critères universitaires (et non sociaux comme il était habituel)

 

Le  SNESup

 

 Le SNESup insiste, en mai 1968, sur quelques thèmes qui lui sont propres.

 

En ce qui concerne  l’autonomie des universités et  la cogestion. dont il est partisan, il estime que les étudiants et les enseignants doivent conquérir des positions de pouvoir à l’intérieur du système universitaire mais il redoute qu'elles soient récupérées. Aussi préconise-t-il un pouvoir irrévocable de contestation et de contrôle essentiellement de la part des étudiants, mais aussi de la part des enseignants. Et s'il exige l’autonomie, il ne veut pas pour autant abandonner une planification nationale de l’enseignement et de la recherche et craint, ce qu'il veut éviter, que les  universités ne deviennent concurrentielles comme le sont les entreprises.

 

En outre, le SNESup revendique l’ouverture de l’Université aux travailleurs et le plein exercice des libertés syndicales et politiques, ce qui implique libre information et libre circulation.

 

                                      

En ce qui concerne l’orientation-selection, les examens et le statut de l’étudiant , il est contre toute sélection, contre toute mesure d’élimination, contre la spécialisation outrancière; pour la diversification des enseignements;  pour la suppression des Grandes Écoles; pour l’auto-enseignement; pour l’appel  à des compétences extra universitaires; contre le mode d’évaluation pratiqué dans l’enseignement traditionnel et pour la mise en place d’un autre mode (qui est à l’étude). Dans l’immédiat , il exige qu'aucun examen n'ait lieu sans un préavis de 6 semaines et sans que le programme et les modalités de l’examen ne soient définis par un accord passé entre enseignants et étudiants.

                           

Il demande que des moments en vie active soient aménagés dans les études, reconnus en tant que tels et rémunérés en conséquence.

Il réclame enfin que soit mise en place une politique de recherche qui prenne en compte sa contestation de la civilisation de consommation et sa vision d'une civilisation culturelle au service de la population et des pays du Tiers Monde.

 

Il apparaît ainsi a posteriori que, durant les années 60, la réflexion des syndicats est assez novatrice et contient en germe quelques idées fortes du futur projet de Vincennes.


 

MAI 1968 ET LA RÉFORME DE L'UNIVERSITÉ

 

   Les origines  lointaines de Vincennes sont donc à chercher  dans la réflexion  sur l’enseignement  supérieur des années 60. Les origines plus proches se trouvent dans le mouvement de mai/juin 1968 dont les thèmes comportent les axes directeurs de ce que sera Vincennes, son “esprit ”  mais aussi,  très concrètement, l’idée de créer une université différente où ces thèmes trouveraient et une application pratique et un champ de discussion permanente.  L’”esprit ", on le retrouve dans les débats qui fleurissent aux détours des rues et des amphithéâtres durant toute cette période; trois de ces lieux méritent semble-t-il qu’on les signale dans la mesure où la réflexion y fut à la fois productive et  contenant en germe ce que sera Vincennes:  les commissions de la Sorbonne, le “groupe d’Assas” et la faculté de Nanterre.  On y localise les principaux acteurs de la conception et de la création de Vincennes:  à la faculté de Nanterre, Hélène Cixous, Jacques de Chalendar y passant; dans le "groupe d'Assas" Michel Alliot et Jacques de Chalendar s'y rend; dans les commissions de la Sorbonne,  Raymond Las Vergnas, Jean Baptiste Duroselle, Sylvère Monod, Pierre Dommergues et Bernard Cassen faisant l’aller-retour d’Amiens, ainsi que Jacques de Chalendar qui y passe. Ils apparaissent comme les foyers initiaux de Vincennes.

 

     Les informations qui constituent la trame de ce chapitre proviennent du travail d'Assia Melamed, document irremplaçable parce que préparé et rédigé dans les années 1980 par un témoin très proche de ces fondateurs, du n° 64 du Mouvement Social, "La Sorbonne par elle-même" et des témoignages de Michel Alliot, Hélène Cixous, Jacques de Chalendar, Jean-Philippe Genet et Assia Melamed.

 

1)   Les commissions de la Sorbonne

 

 Je ne parlerai pas du mouvement de Mai 1968, non parce que cela serait hors sujet (au contraire), mais parce que, devant la complexité du phénomène, il m’a paru plus judicieux de n’étudier que les aspects qui intéressent directement Vincennes.

  

    A la Sorbonne, en marge de ce qui se passe dans la cour, des commissions de réflexion sont réunies dans les salles.  Ayant commencé début mai elles se  poursuivent au-delà du 16 juin, date de l'évacuation de la Sorbonne. Elles rassemblent les membres d’une discipline, sont parfois mais rarement interdisciplinaires. Ce n’est pas pour autant que ses participants restent étroitement localisés dans ses amphis. La richesse de cette période résulte, entre autres, du décloisonnement total (qui devient le mode de fonctionnement normal de ces assemblées) des différents lieux de réflexion parisiens. Intervenants ou spectateurs étaient plusieurs fois par jour en plusieurs endroits, les idées circulant avec les personnes, en  permanence. Et comme, à la différence de l’avant-mai, chacun  proposait non pas en fonction de sa place dans la hiérarchie sociale et universitaire, mais de sa capacité propre à proposer, les idées proliféraient.

 

   Ces commissions "réformistes" ont été mal vues par beaucoup de ceux, plus politiques, qui étaient dans la rue. Il faut savoir que la réflexion sur la réforme universitaire était minoritaire en mai 68. Qui en ont fait partie? Elles étaient ouvertes à tous ceux qui le souhaitaient. En fait, pour la plus grande part, on y retrouvait les étudiants modérés, les étudiants communistes et les enseignants favorables au mouvement (très peu de professeurs). Des hauts fonctionnaires et des chercheurs en ont fait également partie.

 

Certains enseignants ont été surpris de voir des étudiants ayant une telle culture politique et un tel esprit de réflexion. Les relations étaient sur un pied d'égalité.

 

Les commissions interdisciplinaires ne laisseront pas de traces écrites mais il est possible de se faire une idée relativement précise de ce qui s'y est passé grâce au travail de recueil accompli par la Commission centrale de la Faculté des Lettres.

 

Les commissions étaient souvent divisées en sous-commissions. Certains textes aboutissaient à un vote en assemblée générale (AG). Certains débats étaient reportés, l'assistance s'estimant insuffisamment informée.

 

Certaines réunions furent le théâtre de luttes farouches entre communistes et non communistes. Leur travail se structure en deux actes.

 

1er acte: Le 18 mai, l'Assemblée ordinaire de la Faculté délègue ses pouvoirs à l'Assemblée plénière de la Faculté comprenant professeurs, maîtres-assistants, beaucoup de jeunes assistants et les étudiants; celle-ci manifeste une volonté unanime de formuler elle-même des critiques et des projets de réformes.


 

2e acte : Le 30 mai, l'Assemblée Plénière décrète les anciennes structures de l'Université abolies au profit des Assemblées de section réunissant par disciplines enseignants et étudiants.

 

Les commissions débattent de nombreuses propositions dont il est possible de schématiser (très arbitrairement et sans nuances) les thèmes généraux comme:

- un désir de transformation radicale des relations enseignants enseignés;

          -une demande de rénovation pédagogique avec le refus de la spécialisation trop hâtive,

          -la demande de suppression des cours magistraux;

          -la suppression des examens (revendication majeure) allant de pair avec la proposition du contrôle continu;

          -la nécessité de l'interdisciplinarité ( revendication essentielle);

          -l'ouverture de l'université aux salariés, aux non bacheliers, aux étrangers;

          - l'ouverture de l'enseignement sur le monde contemporain;

          - une rénovation des structures;

          - un systèmes de disciplines avec troncs communs et dominantes

                  

Le travail des commissions

 

La Commission d’ histoire a été très fréquentée, comme la Commission de l’Institut d’Anglais. On y débat de suppression du cours magistral, d'enseignements où les étudiants pourraient avoir une participation active, d'associer les étudiants aux décisions de choix de sujets,  du contrôle continu des connaissances, de la transformation du rapport enseignant étudiant, d'un enseignement plus axé sur le monde contemporain, de la problématique politique de l’enseignement en refusant l’Histoire Institutionnelle.

 

L’Assemblée de géographie  reconnaît la primauté du pouvoir politique (contrairement à la Commission Nationale Interdisciplinaire qui souhaite la suppression  du Ministère de l'Éducation Nationale).

 

 

La Commission de philosophie , elle, réfléchit de façon approfondie sur la critique de la “conception bourgeoise” de l’Université (leitmotiv de la contestation étudiante). Sa réflexion porte sur  le sens qu’il faut donner à ce mouvement, la spécificité des études philosophiques, la neutralité du savoir, la tendance permanente à l’”idolâtrie” de la pensée, le refus pédagogique d’apprentissage au  profit d’un autre qui refuse de dévoiler ses instruments et ses méthodes.

 

Une véritable démocratisation suppose l’humilité de l’enseignant qui doit être capable de mettre en oeuvre une pédagogie vraiment “populaire”  (apparaît alors l'idée d’un “contrat” entre enseignants et étudiants).

 

Le projet général des philosophes met l’accent sur l’apprentissage et l’explication des  concepts dans un 1er cycle; l’articulation des études scientifiques et  philosophiques dans un 2ème cycle; la dissertation est mise au pilori au profit d' études écrites des problèmes et des concepts (ce ne doit pas être la forme, mais plutôt la rigueur de l’analyse qui doit servir de base à l’évaluation).

 

La Commission de psychologie  souligne le divorce entre connaissances et pratiques; elle souhaite que la transformation des études psychanalytiques concerne d’autres secteurs de la vie sociale : médecine, éducation, pédagogie, psychiatrie, hygiène sociale...

 

Cette transformation implique alors le bouleversement des structures universitaires dont le problème des relations avec la psychanalyse est posé;  l’apprentissage doit en être pratique et graduel; des liaisons entre l’Université et la société apparaissent nécessaires; la pluridisciplinarité est une nécessité dans la formation

 

La Commission de l’Institut d’Anglais  pose le principe de structures paritaires élues et le principe de la présence des étudiants avec voix délibérative dans tous les enseignements, quelques soient leur grade.

Elle propose la suppression des examens.

Elle souhaite axer les étudiants sur le monde contemporain, leur faire acquérir une méthodologie.

Elle reconnaît la nécessité d’une formation interdisciplinaire, la nécessité de donner la primauté à la langue parlée, de rénover les méthodes pédagogiques, en particulier en reconnaissant  l’apport de la linguistique dans l’acquisition du langage.


 

Ces commissions n'ont pas seulement émis des souhaits, présenté des revendications, exprimé des doléances. Elles ont, en pratique, mis sur pied, pour travailler, des structures paritaires élues avec une parité étudiants/non étudiants (donc plus de voix pour les étudiants que pour les enseignants), une Assemblée Générale et une structure intermédiaire : la Commission des Doléances.

 

2) Le "groupe d’Assas” - la Faculté de Nanterre

 

      En mai, la Commission Nationale Interdisciplinaire, (CNID) siégeait quotidiennement à la faculté de droit de la rue d'Assas; elle est souvent désignée, pour cette raison, sous le nom de groupe d’Assas. Elle était présidée en permanence (fait rare en 1968, où la présidence des commissions était en général tournante) par Marc Hatzfeld étudiant en sciences politiques préparant l’ENA. Ce groupe fixe qui rassemblait une cinquantaine d’étudiants et d’enseignants venant des sciences politique, des facultés de droit, de philosophie et de sciences comptait quelques personnalités connues: Michel Alliot, Pierre Bourdieu, Jacques Monod, Laurent Schwartz. Ils réfléchissaient, à la suite du Colloque de Caen, sur l’avenir de l’Université. Ils se disperseront le 6 juin.

 

Le projet de nouvelles structures pour  l’Université du groupe d'Assas s'est trouvé rejoindre, à peu de variantes près, celui de la Commission de géographie, seule des Commissions de la Sorbonne à rédiger un projet de structure pour une nouvelle université.  Il appelle à une Université fédéraliste et revendique pour elle une autonomie totale en matière de gestion, de pédagogie et de recrutement du personnel, dénonçant en particulier la bureaucratie tatillonne des hauts fonctionnaires; cette dernière revendication illustre, en fait, une critique très générale de la centralisation étatique. Si, en mai, les revendications étudiantes portent d'abord sur le recrutement d’étudiants et l’interdisciplinarité, celles des enseignants concernent essentiellement les structures décisionnelles : les universités doivent disposer de  plus de pouvoir et ne dépendre que d'un seul niveau de décision. Les étudiants engagés voulaient la cogestion; les enseignants engagés voulaient l’autonomie, l'indépendance face à l’Administration.

 

    Le texte final “Proposition  pour de nouvelles structures universitaires”, terminé le 6 juin, est le seul existant qui précise avec détails les nouvelles structures possibles; c’est aussi le seul à présenter de façon approfondie les dispositions légales nécessaires à l'autonomie des universités. Il pose que la finalité de l’Université doit être la contestation de la société, la recherche qui fait partie de ses missions remettant, par essence, en cause le savoir pour le renouveler. L’Université crée les besoins, les oriente, les apprécie pour les satisfaire mais elle ne peut accepter d’être une entreprise moderne qui fabriquerait les cadres que lui demanderait la société. Il est dans son rôle de contribuer à la définition de l’avenir de la collectivité.

 

Critiquant donc l’hyper centralisation, il réclame la suppression du ministère de l'Éducation Nationale au profit d’une structure fédérative, coordonnée de la base au sommet. Des unités autonomes de base, coopérant horizontalement, seraient fédérées dans une unité géographiquement localisée, l'université proprement dite. Toutes les structures de décision et de gestion seraient composées de délégués élus, l’autonomie étant un instrument et non une fin en soi.

 

Les Universités ainsi conçues sont autonomes et autogérés. Autonomes, elles  délivrent des diplômes, choisissent leur pédagogie, les programmes étant définis par "la base"; tous les étudiants ont accès à l’enseignement supérieur. Autogérées, leurs représentants, responsables devant elles, élus par leur Assemblée générale, gèrent un budget acquis par dotation sans affectation.

 

 

 

Hormis les témoignages de Michel Alliot, Jacques de Chalendar et Hélène Cixous, je n’ai  trouvé pratiquement aucun document sur ce qui, au plan de la réforme universitaire ou de la pédagogie, s’est passé à Nanterre en mai/juin 68.

 

     Jacques de Chalendar se promène à l'époque sur différents campus de la région parisienne et notamment sur celui de Nanterre. Il y rencontre les sociologues Bourricaut et Touraine. Ils observent un irréversible mouvement de destruction de l’Université. Hélène Cixous considère Nanterre comme une poudrière prête à exploser: ”C’était monstrueux, une fracture, une irruption volcanique. On assistait à la destruction de l’Université par les étudiants”. Elle y lit le Manifeste fondamental de l’UNEF et se persuade qu'il faudra reconstruire.

 

Une partie du travail de réflexion  commencé à Nanterre s’est prolongée à la Sorbonne à partir de début mai: le mouvement s’y est transformé; Michel Alliot considère cependant que le travail effectué à Nanterre était beaucoup plus structuré et efficace que celui des commissions de la Sorbonne.

 


 

 

 

 

 

 

LA RÉPONSE POLITICO-TECHNICO-ADMINISTRATIVE

 

(été- automne 1968)


 

 

 L'ÉTAT

 

 1)  Edgar Faure et  le Général de Gaulle

                                  

   "Les élections du 23 et 30 juin 1968 donnent une écrasante majorité au Général de Gaulle: 358 députés sur 485, soit 73,8% de l’Assemblée Nationale, sont gaullistes ou RI (Républicains Indépendants).

 

   Le 10 juillet 1968, à la stupéfaction de tous, Pompidou est remercié par le Général de Gaulle; il est remplacé par Couve de Murville.  Le 12 juillet au soir, le nouveau gouvernement est formé.  Seule exception dans ce gouvernement très conservateur, le libéral Edgar Faure (ex radical) est nommé au portefeuille de l'Éducation Nationale le 11 juillet en lieu et place d’Alain Peyrefitte, après un court intérim d’Ortoli. Pour tous les observateurs politiques, la nomination d’Edgar Faure apparaît significative d’une volonté de réformes.  On se souvient alors que le 21 mai,  le Général avait fait savoir qu’il restait et, par une de ses formules lapidaires dont il était coutumier, avait annoncé la couleur : “la réforme,  oui,  la chienlit, non”.  Par là il indiquait clairement à qui voulait l’entendre son intention de rénover le système éducatif, mais aussi sa ferme volonté de couper court à la contestation du régime. La “chienlit” de 1968, c’est la “populace” de la Commune. La formule avait choqué les acteurs les plus engagés dans le mouvement; elle indiquait  en tous cas, d’une formule méprisante, que le pouvoir n’entendait pas laisser mettre en cause sa légitimité, mais par contre , et c’est important, qu’il entendait procéder à des réformes de structures importantes.”

                               (extrait d’Assia Melamed)

 

  

   “Qui eut le premier l’idée de prolonger le boulevard Saint-Michel, fraîchement bitumé, jusqu’au bois de Vincennes ? Au lendemain des journées qui ébranlèrent la Sorbonne, Edgar Faure, le ministre de l'Éducation Nationale voulu et soutenu par le Général de Gaulle, perçoit la crise du monde universitaire comme le symptôme d’un malaise plus ample.  A une majorité qui réclame le retour à l’ordre, il répond : “ C’est toute la société qu’il faut changer. Il faut une nouvelle conception de l’homme et des rapports sociaux. “   Par quel bout entamer cet audacieux programme sinon par le secteur où se concentrent les effets de cette “crise de civilisation”? Adapter l’Université aux mutations culturelles et sociales,  tel est bien l’objet de l’ouvrage que le ministre met en chantier au cours de l’été 1968. Avec la préoccupation, réaffirmée par le chef de l'État, de tester sur ce terrain les principes de la participation chère au Général.”

                   (Extrait d'Hamon et Rotmann )

 

Voilà, en quelques lignes, comment Assia Melamed d'une part, Hervé Hamon et Patrick Rotmann de l'autre, perçoivent comment ces deux fortes personnalités vont mettre en mouvement un renouveau universitaire impensable quelques semaines auparavant. C’est de la rencontre à la tête de l'État de deux hommes exceptionnels que beaucoup de choses vont pouvoir se faire .                                                                                                      

 

De Gaulle  

 

Le Général de Gaulle est à double facette.

 

D’un côté, c’est un homme d’ordre. Il a particulièrement mal vécu les événements de Mai 68. Il les interprète en partie comme un affront personnel. Depuis quelques années, il est partisan de la sélection (avec son conseiller pour l'Éducation, Jacques Narbonne et avec Pierre Laurent, le secrétaire général du Ministère de l'Éducation Nationale) et de l’orientation bien organisée de ceux qui sont mis de côté. Il a longtemps considéré les événements de Mai comme des enfantillages. Et il est le plus chaud partisan d’utiliser la “manière forte”. Car, ce qu’il ne supporte pas, c’est que l’ordre ne règne pas.

 

De l’autre, il a du flair. II sent ce qui se passe. Comme dit Jean Lacouture, à propos de l’Avant-Mai-68, “le Général de Gaulle était d’ailleurs, au sein du système, l’un de ceux, très rares, qui voyaient monter les périls et le disaient.” Il a le désir et sent la nécessité de réformer le système universitaire. Et il est ouvert au changement. De plus, comme le montre son projet de référendum, il est partisan d’une participation plus grande des citoyens à la marche de la société et des étudiants à la marche de l’Université.

 

Ce deuxième aspect de sa personnalité, un homme, probablement, est en mesure de l’exprimer particulièrement bien. C’est Edgar Faure. Le général a grande confiance en lui. Il avait déjà pensé, dans les années précédentes, à en faire son Premier Ministre. Le montage de Vincennes, qui a été confronté à de nombreuses difficultés et oppositions, a été rendu possible, entre autres, par le fait qu’Edgar Faure avait la confiance de de Gaulle.

 

 

Edgar Faure

 

 Edgar Faure était auparavant ministre de l’Agriculture. D'après les témoins, c’est un homme d’une grande intelligence, d’une grande ouverture d’esprit et qui a le désir d’innover. En même temps, il est d’une grande habileté: "Homme multiple, et miroitant qui met de l'application à se jouer de tout et de tous mais qui, musant, travaille, et badinant, s'applique. Inventif en tous cas, ouvert aux contacts, généreux dans l'intelligence et prodigue de prudentes audaces. Négociateur cocasse, inventeur de systèmes et le moins systématique des hommes, ami de la liberté, sarcastique, jovial, point ennemi de la paillardise- il paraissait peu fait pour servir le Connétable. Il l'avait servi. Bien." tel le décrit Jean Lacouture. Certains l’ont qualifié de “magicien” pour sa façon d’être parvenu à “ faire passer ” à une Assemblée conservatrice une loi d’orientation et un projet d’université aussi progressistes.

 

Voici maintenant , comme me l’a narré le Recteur Antoine, le récit de la rencontre, en préambule du gouvernement Couve de Murville, entre Edgar Faure et le Général. Nous sommes le 8 juillet 1968 (2 jours avant le départ de Pompidou et 4 jours avant la formation du futur gouvernement).  Le général a convoqué Edgar Faure. Il faut préciser que ce dernier convoitait le portefeuille des Affaires Étrangères. Le Général lui demande de lui faire une analyse détaillée sur la situation de l'Éducation Nationale et des remèdes à y apporter. Edgar Faure présente longuement son point de vue sur le Primaire et le Secondaire où il pense que se situent les vrais problèmes. Il préconise de donner ses lettres de noblesse à l’enseignement technique. Et pour finir, il  confie que cela ne va pas être facile pour le prochain Ministre de l'Éducation Nationale.

 

 Le Général lui dit : “Ce sera vous.”


 

2)  Le cabinet  d'Edgar  Faure

 

Je me suis essentiellement basé pour cette partie sur les entretiens avec Jacques de Chalendar, Michel Alliot , le recteur Gérald Antoine, Yann Gaillard,  et Bernard Gauthier, ainsi que sur la documentation d'Assia Melamed , et sur quelques articles du "Monde" pour l'essentiel.

 

Présentation des personnes

 

Edgar Faure est donc nommé au Ministère de l'Éducation Nationale le 11 juillet 1968. Presque immédiatement, il va constituer son Cabinet, qui sera formé pour l'essentiel par son Directeur de Cabinet, Michel Alliot, le recteur Gérald Antoine, chargé de mission, Jacques de Chalendar, conseiller technique et Yann Gaillard, Directeur adjoint du Cabinet (chargé des finances) . Un de ses amis de toujours, Robert Blot, se joint à cette équipe.

 

   Michel Alliot

 

Ancien  résistant du réseau du Général de Gaulle, il a dirigé un réseau en France, a été déporté, s'est évadé. En 1944, il a été l'un  des fondateurs de l'AFP et a participé à la création du Ministère de l'Information. Sa formation est pluridisciplinaire, Droit, Lettres, et il a une très bonne connaissance des mathématiques massiques.

 

Ce qui  frappe quand on étudie son parcours professionnel, c'est de voir à quel point c'est un homme qui, toute sa vie, a créé, lancé beaucoup de choses.  Jean Gattégno dit de Michel Alliot qu'il était à la fois un gauchiste et un gestionnaire. Cette définition lui convient particulièrement pendant l'année 1968. Gauchiste, il l'a été dans sa participation au Groupe d'Assas, dans son engagement de mai 68; il est révolutionnaire dans l'âme et, en cela,  il ne veut pas prendre le pouvoir, négocier avec lui, ni passer par ses structures pour faire aboutir ses aspirations. En même temps, il a envie de prendre en charge la destinée des étudiants, il a envie de voir mettre en application ces idées dont il est en partie l'auteur et, pour cela, il est prêt à prendre le pouvoir lui-même, à être au pouvoir. Certains de ses collègues ont peut-être noté en 1968 cette contradiction. Ce qui le caractérise, c'est un certain bouillonnement intellectuel, une certaine soif de création, d'innovations, de nouveautés; la suite de son parcours universitaire traduira toujours les mêmes choix: après le cabinet d'Edgar Faure, il a participé à la création de l'Université Paris VII, dont il fut d'ailleurs Président; il est ensuite devenu Recteur de l'Académie de Versailles et il est actuellement Professeur à Paris I en Anthropologie juridique.

 

Ce qui est sûr, c'est qu'Edgar Faure a choisi Michel Alliot parcequ'il le connaissait depuis longtemps (1963) et qu'ils partageaient les mêmes idées sur l'éducation: agrégé d'histoire du droit, comme lui, il l'avait rencontré à  la faculté et ils avaient sympathisé puis s'étaient liés d'amitié. Lorsqu'il avait envisagé de l'appeler comme chef de cabinet au Ministère de l'agriculture, M Alliot avait refusé, lui rappelant la conclusion d'anciennes discussions: il prendrait ce poste dans l'éventualité où E Faure serait appelé au Ministère de l'Éducation nationale.

 

Il avait appartenu  au groupe d'Assas, à la Commission nationale interdisciplinaire, la CNID. Dans un interview d'Assia Melamed, le 17 janvier 1983, Marc Hatsfeld, président de la CNID, évoque Mai 68 :

"Le Comité d'occupation d'Assas était tenu par des cathos de gauche qui vivaient très mal l'existence de la CNID. Les rapports entre les deux Comités étaient tendus. Courant mai, le Comité d'occupation sollicite de la CNID une démarche conjointe au Ministère. Cette demande est très mal ressentie, mais c'est Michel Alliot qui va exprimer le sentiment général: "Nous ne dialoguerons jamais avec un gouvernement qui emprisonne nos camarades ". Le 30 mai, Michel Alliot s'empare du texte de "Propositions pour de nouvelles  structures universitaires" qui n'est qu'à l'état de brouillon : "Ce n'est pas la peine de donner ça aux secrétaires besogneuses du mouvement étudiant...."

 

Le 30 juin, il amène Hatsfeld à une réception dans une propriété à Garges les Gonesses; en écoutant les résultats des élections, il était très ému et évoquait à mots couverts ses relations dans le monde politique, son amitié avec Edgar Faure : "on pouvait déceler ce jour-là une certaine urgence à participer au pouvoir...."se souvient Hatsfeld. Et en effet, 11 jours plus tard, lorsqu' Edgar Faure lui demande de devenir son directeur de cabinet, Michel Alliot accepte tout de suite. Cette nomination donne lieu à des suppositions de la part des proches de Michel Alliot, qu'on soupçonne même, de devoir être le prochain ministre, et se termine par un coup de téléphone mémorable en pleine conférence à la Faculté de droit (Assas).

 

 

 

 

Gérald  Antoine et Edgar Faure

 

Gérald Antoine et M. Mallet, Recteurs en 1967-68 de l'Académie d'Orléans et de celle d'Amiens, étaient alors considérés comme les plus progressistes des Recteurs. Ils avaient joué un  rôle très important dans le fameux Colloque d'Amiens de mars 68, ce qui n'avait pas échappé à Edgar Faure.

 

Toutes les informations suivantes proviennent de l'entretien que m'a accordé le Recteur Antoine le 25 mars 1992.

 

Le 9 juillet 1968 au matin, Gérald Antoine participait à un colloque sur l'éducation, à Orsay. Il ne connaissait pas Edgar Faure; il ne l'avait même jamais vu. Pendant le colloque, dans le grand amphithéâtre d'Orsay, au milieu de tous les participants, il voit passer un message sur une bande lumineuse :"Pour le Recteur Gérald Antoine, prière d'appeler immédiatement Edgar Faure au Ministère de l'Agriculture". Le contact est pris et  le Ministre demande au Recteur de venir le voir tout de suite au Ministère.

 

Edgar Faure avait préparé un questionnaire en 13 points sur un ensemble de sujets touchant à l'éducation et à la formation des jeunes et des adultes.

 

Les réponses de Gérald Antoine satisfont le Ministre sur 12 points. Le 13° les sépare: Edgar Faure ne croit  pas qu'il y ait des élèves avant tout "scientifiques" et des élèves avant tout "littéraires"; Gérald Antoine croit le contraire. Mais cette unique divergence n'empêche pas Edgar Faure de proposer à Gérald Antoine le poste de chargé de mission auprès du Ministre de l'Éducation Nationale (c'est à dire, de ne relever que de lui ). En prenant Gérald Antoine dans son cabinet, Edgar Faure espérait certainement le voir calmer le jeu avec  les enseignants car il avait un très bon contact avec eux.

 

Le Recteur Antoine demande 24 h. de réflexion  et utilise cette journée à prendre des contacts, en particulier avec Mr Robert Blot, collaborateur d'Edgar Faure de très longue date. Inspecteur général des Finances, catholique intègre (mais non intégriste précise Gérald Antoine), il est un grand ami d'Edgar Faure qu'il a suivi dans toute sa carrière politique. Paul Chaslin l'appelle "l'âme damnée d'Edgar Faure". R Blot conseille vivement à Antoine d'accepter, disant que ce sera pour lui une expérience extraordinaire, mais qu'il faut que Gérald Antoine tienne Edgar Faure très serré, sinon tout sera difficile.  Et le commentaire de G Antoine a posteriori, c'est qu'il n'a pas tenu Edgar Faure suffisamment serré, qu'il aurait dû mieux écouter les conseils de Robert Blot.

 

Le lendemain soir, Gérald Antoine accepte la proposition d'entrer dans le cabinet du Ministre et il n'a jamais regretté ce choix; il considère  comme une expérience extraordinaire de bouillonnement intellectuel les 11 mois qu'il a passés au Ministère, de juillet 1968 à juin 1969 où Pompidou revient au pouvoir à la place du Général de Gaulle et remplace Edgar Faure par Olivier Guichard.

 

Edgar Faure et Gérald Antoine ont collaboré de manière très étroite: chaque matin, G Antoine rédigeait toutes ses idées de la veille et les soumettait au Ministre. Il lui est arrivé de dire à Edgar Faure : "vous n'êtes pas dans le secret de votre génie". Il considérait que le Ministre avait quelques idées-forces de la plus haute valeur, et dont il ne s'écartait point; mais la souplesse de sa conduite quotidienne troublait trop souvent des partenaires moins intelligents que lui.  Et il ajoutait : "vous avez vous-même détruit votre chance d'être un grand homme, en jouant trop les équilibristes".

 

 

 

  Jacques de Chalendar

 

Inspecteur des Finances de 47 ans, père de 5 enfants, habitant le VIIème arrondissement, licencié en droit,

"Jacques de Chalendar est plus ou moins en disgrâce quand arrive le mois de mai, et il est assez libre de son temps. Son travail l'avait amené auparavant à faire une série d'enquêtes sur le problème des études médicales et à établir de bonnes relations avec de nombreux enseignants. Le mouvement étudiant rencontre ses convictions profondes; il pense que le système mandarinal, centralisé et napoléonien, est par terre; il connaît bien certains sociologues de Nanterre qui sont pleins d'idées, mais qui n'ont aucune expérience leur permettant de voir les structures qu'elles impliquent. Il va apporter sa pierre au mouvement en traduisant ses idées en structures possibles à partir de souhaits contradictoires, en y ajoutant le problème de la pluridisciplinarité.

 

Dès le 20 mai, il écrit une première note qui traduit les objectifs de l'UNEF. Cette note de 4 pages fait florès à Nanterre, Assas et ailleurs partout où elle est diffusée". Et Assia Melamed conclut le récit de cette interview de Jacques de Chalendar, le 18 mai 1983 : "il me fera miroiter ses notes sans me les montrer; je ne suis pas seule à vouloir publier ses mémoires".

 

Voyant le succès de cette première note, Jacques de Chalendar en  écrit deux jours plus tard une deuxième intitulée : "Réflexions sur les modalités d'une réforme de l'Université", seconde version de la précédente. Il en écrit une troisième, une quatrième, puis une cinquième. Sa réflexion porte sur deux thèmes qui intéresseront particulièrement les enseignants et les étudiants, l'autonomie des universités et la cogestion étudiants-enseignants.

 

Assia Melamed continue :

 " De Chalendar se sent comme un poisson dans l'eau dans toutes ces assemblées. Il va de l'une à l'autre sur son vélo, qu'il a prudemment fait venir de la campagne au début des événements. Il se promène partout, écoute, note, lie connaissance. C'est à la CNID qu'il a fait connaissance, courant mai de Michel Alliot, professeur de Droit, qui vient de Madagascar où, pendant 5 ans, il a été directeur des enseignements supérieurs. Ils  discutent beaucoup et se lient d'amitié. Il sympathise aussi avec les recteurs d'Amiens et d'Orléans, respectivement Mallet et Antoine.

 

Le Secrétaire Général du Ministère de l'Éducation Nationale, Monsieur Laurent, et le Ministre, voient ces notes. Dans la débandade et le désarroi qui règnent chez les cadres supérieurs du Ministère, elles font l'effet d'une bombe."

 

Jacques de Chalendar m'a commenté lui même, le 5 mars 1992,  au sujet de ces réactions :

 "ils pensaient qu'avec la construction de nouveaux bâtiments, la création d'IUT et la centralisation des décisions de l'Éducation Nationale, (c'était une idée de Pierre Laurent : il pensait qu'une des causes de la crise était l'éparpillement des lieux de décision du Ministère, et il désirait rassembler tous les services dans un seul "Grand Ministère", qui ne pouvait être que l'ancien bâtiment de l'OTAN, porte Dauphine, Jacques de Chalendar, quant à lui, préférant déjà y établir une université), tout s'arrangerait. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait."

 

"Lorsqu'Alain Peyrefitte démissionne, le 28  mai, pour être remplacé par Ortoli, - poursuit Assia Melamed- celui-ci fait venir de Chalendar et le nomme chargé de mission pour établir le contact avec les milieux enseignants et étudiants. De Chalendar accepte, car il faut bien reconstruire, malgré les difficultés qu'il rencontre avec M. Laurent, qui, et c'est un euphémisme, n'avait pas du tout les mêmes conceptions; alors que de Chalendar voulait réunir les leaders, Ortoli voulait des "Missi Dominici". C'était la conception qui prévalait chez Pompidou. D'autres chargés de mission sont nommés et font des rapports et, dans la grande variété de solutions proposées, on distingue des lignes de force, les points communs qui permettent d'esquisser la reconstruction".

 

"Lorsque de Chalendar apprend, le 11 juillet au soir la nomination d'Edgar Faure, il est navré, dans un premier temps. Ancien collaborateur de Mendès-France, il éprouvait, à tort dira-t-il plus tard, une certaine méfiance envers Edgar Faure.

 

"Le 12 juillet, à 7 h. du matin, de Chalendar est réveillé par un  coup de téléphone de Michel Alliot :

                                       -Vous savez qu'Edgar Faure a été nommé Ministre?

                                       - Je le sais depuis la veille.

                                       - Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que je suis son Directeur de Cabinet. Et notre ami commun, le recteur Antoine est nommé Chargé de Mission  auprès du Ministre.

         Voulez-vous entrer dans notre équipe pour y être le numéro trois?

                                       -A priori, je n'avais pas pensé une seconde à travailler avec M. Edgar Faure. Mais si c'est avec vous et Antoine, je veux bien y aller."

 

Tout l'homme est dans une telle réponse.

 

 

 

Le cabinet comportait plusieurs autres collaborateurs mais, sauf Yann Gaillard, le spécialiste  des finances au Ministère de l'Éducation Nationale et Robert Blot, ils n'ont pas joué un très grand rôle. Grand ami d'Edgar Faure, ce dernier formait avec Michel Alliot et Gérald Antoine ce que Chaslin appelait "la triplette du cabinet".

 

Beaucoup de témoignages concordent pour dire que l'équipe, Alliot, Antoine, de Chalendar était très soudée. D'après Bernard Gauthier, ils formaient avec le Ministre comme une sorte de groupe politique dont on sentait se dégager une très grande volonté d'innover. Jacques de Chalendar en était visiblement l'élément le plus gauchisant: quelques mois plus tard des membres de l'état-major de Matignon demanderont à Edgar Faure de se séparer de lui.

 

 

 

 

Les nouvelles méthodes du cabinet.

 

Les modes de fonctionnement du cabinet d'Edgar Faure, qui sont apparus très nouveaux, ont frappé l'opinion publique aussi bien que  les autres membres du Gouvernement.

 

Sauf exception, ce Cabinet n'a plus fait appel à la police, en cas d'agitation estudiantine. Mais pour éviter tout débordement, Michel Alliot a exigé et obtenu que Vincennes, dès son ouverture, soit vide la nuit. A la fermeture les étudiants encore sur place étaient reconduits aux portes de Paris, d'autant plus que la navette entre le Château de Vincennes et la faculté n'a été mise en place que beaucoup plus tard.

 

 Durant l'été 1968, ses membres ont énormément réfléchi et discuté avec tout le monde. Michel Alliot m'a confié que 5.000 personnes étaient passées au Cabinet pendant l'été, 5.000 personnes venant de tous les milieux intéressés par l'éducation, des étudiants, soixante-huitard ou pas, des enseignants de tous les niveaux, des administratifs, des personnes venant d'autres Ministères ou de milieux socio-économiques, des parents.

 

Le Cabinet a fait preuve d'une très grande ouverture d'esprit, et d'un souci permanent d'innover.

 

 Pour faire passer ses idées, notamment face à une majorité de droite, il a fait preuve d'une incontestable habileté politique en fonctionnant au culot, en employant des procédures inhabituelles et parfois irrégulières, en bousculant les habitudes, en espérant  que les obstacles seraient levés et en faisant tout ce qui était nécessaire pour qu'ils le soient.

 

 "Le Monde", du 10-11 novembre 1968, par exemple, évoque la surprise des Conseillers de Paris qui  constatent à l'automne qu'un terrain situé dans le Bois de Vincennes et appartenant à la Mairie de Paris,  a été réquisitionné par le Ministère de l'Éducation Nationale pour y bâtir une Université. Trouvant cette méthode "cavalière, choquante", ils le font savoir au Ministère. Celui-ci, avec une bonne foi désarmante Alliante dit "Le Monde", n'hésite pas à plaider "coupable", le Ministre Edgar Faure résumant la situation par une de ces boutades qui sont l'arme secrète de sa politique : "je crois bien que nous avons tort : nous allons en profiter"....

 

Dans "Le Monde" du même jour, autre exemple, Frédéric Gaussen commente: "Le Ministère répondait à un pari, qui était de montrer aux révolutionnaires de Mai que l'imagination et l'efficacité étaient du côté du pouvoir; autrement dit, les désarmer en se mettant sur leur propre terrain." Edgar Faure avait d'ailleurs coutume de reprendre le slogan de Mai 68 "l'imagination au pouvoir",  pour qualifier le travail de son  Cabinet après Mai 68 en le formulant "le pouvoir prend l'imagination".

 

 Yann Gaillard, affirme de son côté: "Le montage de Vincennes fut un montage administratif exceptionnel, en dehors de toutes les normes. Edgar Faure a tout pris sur lui. N'importe quel fonctionnaire qui aurait agi ainsi, aurait été traduit en justice."

 

Dernier exemple, pour ne pas lasser:  en août ou septembre 1968 se tient une réunion entre les personnels des différents cabinets, réunion dirigée par le Directeur du Cabinet du Premier Ministre, Bruno de Leusse. Les participants étaient des membres du Cabinet d'Edgar Faure, dont Yann Gaillard, du Cabinet du Premier Ministre, du Ministère des Finances et probablement d'autres personnels de Ministère, dont le Conseiller de Couve de Murville pour l'Éducation Nationale. Il y fut annoncé que, pour raison d'État, Edgar Faure, sous sa propre responsabilité, avait fait exécuter toutes les constructions universitaires sans respecter ni les délais ni les démarches de l'administration.

 

Surplus d'étudiants; besoin de locaux

 

Dans l’analyse que fait le Gouvernement de la crise estudiantine du printemps 68, la surpopulation des Universités apparaît comme l'une des raisons essentielles: les étudiants manquent de place, surtout dans la région parisienne. Ce constat, les gouvernements antérieurs à mai 68, comme le précédent Ministère d’Alain Peyrefitte l'ont déjà fait. En particulier un nombre considérable de bacheliers avaient été reçus en mai 68 et il fallait donc prévoir pour la rentrée universitaire d’automne 68 un nombre de places bien supérieur à celui programmé initialement. Mais les chiffres diffèrent beaucoup suivant les sources. La population estudiantine de l'Ile de France, pour Jacques de Chalendar, était de 180.000 pour l’année 67-68. Paul Delouvrier, qui occupait alors les fonctions qui correspondraient aujourd’hui à celles de Préfet de Région, déclare début juillet 68, qu’il est nécessaire de créer 12.000 places étudiantes en Région parisienne; le 24 juillet, il corrige: 24.000 places. Au moment de la rentrée, un article du “Monde”, affirme que 30.000 places sont nécessaires, selon un autre article, 35.000 et selon Michel Alliot, 50.000 places. Il fallait donc de toutes façons bâtir et offrir de nouveaux locaux à l'Enseignement supérieur. Hélène Cixous, se souvient clairement que ce souci de construire des locaux pour enseignement supérieur était reconnu et exprimé avant la crise de mai: début mai, elle a entendu dire que le Ministère débloquait des fonds pour monter des locaux en préfabriqués, pour la Sorbonne, en périphérie de Paris.

 

Le ministère Edgar Faure reprend évidemment ce besoin à son compte;  d'après Bernard Gauthier, le Rectorat de Paris, partiellement chargé de résoudre ce problème, a été obsédé pendant tout l'été 1968 par la recherche de terrains disponibles. C’est le vice-recteur qui en avait la charge effective, et c’est lui qui s’est occupé de la construction des Centres Universitaires expérimentaux.

 

Le Ministère a-t-il voulu construire pour construire, estimant que donner un peu plus d’espace aux étudiants, était une façon de résoudre la crise de mai, ou le désir de réformer le mode d'enseignement a-t-il  été antérieur, voire concomitant, à ce souci de construction ? Les avis divergent. Bernard Gauthier, l'un des trois Secrétaires Généraux du Rectorat de Paris et qui y était chargé du Plan, affirme que le souci de bâtir des locaux nouveaux coïncidait avec le désir d’instituer une nouvelle pédagogie. Selon Gérald Antoine, par contre, on a voulu mettre des structures en place sans savoir ce qu’en serait le contenu; les choix pédagogiques ne seraient venus qu’ensuite et, pour Vincennes, sur les propositions de l’équipe Cixous, Dommergues et quelques autres.

 

De l'ensemble des témoignages recueillis il apparaît clairement, me semble-t-il, que l’équipe d’Edgar Faure ne cherchait pas à construire pour construire, que leur projet, entreprendre une réforme de l’enseignement, était avant tout pédagogique. Il est possible que dès le départ, ils aient pris la décision de construire des bâtiments nouveaux sans savoir exactement ce qu’on y ferait, mais ils savaient que, dans tous les cas, ils voulaient y pratiquer une pédagogie différente.

 

Ministère et Rectorat de Paris, dès la mi juillet, seront donc obsédés par l’idée de trouver des terrains. Le Cabinet travaillera pour cela en étroite collaboration avec celui qui sera le principal constructeur de toutes ces opérations, Paul Chaslin, puisque, outre le chantier de Vincennes, il se verra confié ceux d’Asnières, de Clignancourt et de Clichy.

 

Le terrain de Vincennes

 

Le terrain prévu pour la future Université appartient à la Ville de Paris qui l’a loué depuis quelques années à l’Armée; celle-ci y a installé des baraquements militaires. Lorsque, fin juillet, début août, le Ministère, qui recherche partout des terrains, finit par trouver celui-là, il obtient de l’Armée, après des tractations, qu’elle  le cède à l'Éducation  Nationale. Mais il fallait l’accord de la Mairie de Paris. Bernard Gauthier raconte le moment fort de cette négociation: un cocktail organisé par Edgar Faure au Ministère, fin juillet début août, auquel il invite en grande pompe Frédéric Dupont, Député, Conseiller Municipal du VIIème arrondissement et M. Vallon, Conseiller RPR de la Ville de Paris. (Il y a un doute sur le nom de Mr. Vallon. Bernard Gauthier dit oui, Paul Chaslin est beaucoup moins certain). Toujours est-il qu'Edgar Faure embrasse Vallon dés son arrivée lui disant d'entrée de jeu: “Je vous remercie pour les terrains que la Ville nous prête” ce à quoi le Conseiller de Paris, pris au piège, ne sait que répondre et n’ose pas refuser.

 

A partir de là, les interprétations divergent.

 

Selon Michel Alliot, la Ville de Paris aurait ensuite dû prendre la décision de céder ou non le terrain et pendant l’été ou en tous cas sans attendre la rentrée, puisque les constructions devaient commencer tout de suite. Or, pendant cet été 1968, beaucoup de Conseillers de Paris étant partis en vacances et ne pouvant donc pas être réunis, seul, le Bureau du Conseil pouvait l'entériner. Or, d'après Michel Alliot, ce Conseil n’avait pas la compétence juridique de vendre ou de louer ce terrain. Il a alors adopté une solution “bâtarde”, louer ce terrain au Ministère pour 10 ans. Le même Michel Alliot dénonce une opposition des députés du XIIème arrondissement, notamment Charles Mingot et Roger Frey, RPR, ancien Président du Conseil Constitutionnel et par la suite Ministre de l’Intérieur, qui voyaient la création de Vincennes, amenant dans le XIIème arrondissement des étudiants de gauche, modifier leur électorat. 

 

Le Monde” rapporte que le Conseil de Paris, réuni le 25 octobre 1968 à propos de cette affaire, réagit très violemment. Les conseillers sont choqués, trouvent cette façon de faire indélicate et condamnent l’attitude du Ministère. Un long débat s’engage sur la politique à adopter et c’est le Préfet de Paris, Mr. Doublet, qui propose une solution médiane: que ces terrains, dans le Bois de Vincennes, ne soient occupés que pour une durée limitée à 10 ans. Le Conseil se sépare sans avoir pris de décision, manifestement en désaccord avec la proposition Doublet, et propose de la remettre au Conseil de novembre. En novembre, il m'est impossible de retrouver une trace de cette affaire.

 

Si l'on en croit un autre article du “Monde” du 10-11 novembre, Edgar Faure aurait fait une sorte d’échange: “Très content si vous nous cédez le terrain de Vincennes, je m'engage à ce que le Ministère n’occupe pas le Terrain de la Dame Blanche, autre terrain du Bois de Vincennes que la Mairie devait céder pour la construction d’un lycée.

 

Aucune trace n'apparaît dans le compte-rendu du Conseil d’une décision concernant Vincennes. Ces tractations au sujet du terrain et de cette fameuse clause des 10 ans restent, pour ce que j'ai pu en savoir, mystérieuses. 

                           

 Les centres universitaires expérimentaux

 

La première tâche à laquelle s’attaque le Cabinet est la préparation du discours que le Ministre doit prononcer devant la nouvelle Assemblée Nationale sortie des urnes le 30 juin. Dès son entrée en fonction, l’équipe y travaille d’arrache-pied et, le 24 juillet, Edgar Faure peut présenter devant les députés sa loi d’orientation pour l’enseignement.

 

Les maîtres mots en sont : participation, démocratisation, renouvellement. L’été se passera essentiellement à élaborer cette loi d’orientation et, parallèlement, à construire, principalement en région parisienne, de nouveaux centres universitaires dont Vincennes fait naturellement partie. Dès le mois de juillet, en effet, Edgar Faure annonce son intention de construire en France quatre établissements universitaires expérimentaux, Vincennes, Dauphine, Antony, et  Marseille-Lumigny, Vincennes étant plus spécialement orienté vers une pédagogie novatrice; son enseignement sera pluridisciplinaire, Sciences humaines et Lettres; au départ, les sciences pures devaient être associées au projet.

 

 Le profil d'Antony reproduit à peu prés celui de Vincennes, mais l’enseignement doit y être plus encore pluridisciplinaire, avec davantage de sciences pures. Les bâtiments devraient occuper l’emplacement de la résidence universitaire. Ce projet devait être mené par Antoine Culioli avec l’aide du professeur de sociologie de Nanterre, Alain Touraine. On retrouve les traces d'Antony jusqu’à l’automne, et même jusqu’en début 1969. Les projets  Dauphine, Antony et Vincennes, ceux de la région parisienne s’élaborent en parallèle; les nominations de professeurs auront lieu aussi à Antony. Mais le projet d’Antony, qui deviendra Université Paris-Sud, n’a jamais abouti, pour diverses raisons qui ne concernent pas ce mémoire.

 

Après moult hésitations, le Centre expérimental prévu porte Dauphine sera construit  dans l’ancien bâtiment de l’OTAN. Essentiellement orienté vers les sciences économiques et la gestion, il constituera l’Université Paris IX dont la conception est beaucoup plus élitiste que celle de Vincennes.

 

Marseille-Lumigny, construite dans la garrigue près de Marseille, verra le jour en même temps que Dauphine et Vincennes, mais, pluridisciplinarité mise à part, sera d’un type plus conventionnel que Vincennes et Dauphine.

 

La construction de ces centres universitaires se poursuivra d’août à octobre, voire novembre. Il semble qu'elles aient été réalisées dans un certain secret, surtout en ce qui concerne Vincennes: les premières mentions du projet Vincennes apparaissent seulement le 13 septembre dans “Le Monde”, à la même date dans “L”Aurore” et le 11 novembre dans “Le Nouvel Observateur”.

 

Ce vendredi 13 septembre est en effet la grande rentrée du Cabinet. Edgar Faure tient une conférence de presse en présence du Recteur et du vice-recteur de l’Académie de Paris et des différents Doyens de Paris et de sa région. Il annonce la création de 5 Centres universitaires, Asnières, Clichy, Clignancourt, Montrouge, Sceaux, et 3 Centres expérimentaux Vincennes, Antony, et Porte Dauphine. Il annonce également des constructions nouvelles à Nanterre et Orsay: 35.000 places de plus pour les étudiants ; et ces centres seront en service le 15 novembre. Mais ce chiffre de 35.000 est controversé, nous le verrons.

 

Edgar Faure précise que le Gouvernement ne s’est pas contenté de construire des locaux neufs mais qu’il s’est attaché également à la réforme de la pédagogie; cette nouvelle pédagogie tient compte des aspirations qu'étudiants et enseignants ont fait connaître le printemps précédent. Le Ministre en trace les grandes lignes et R Las Vergnas, qui est présent, précise que le contenu des enseignements sera défini par les usagers eux-mêmes. En fait, comme nous le verrons, l’essentiel de la pédagogie vincennoise sera préparé, avant le 13 janvier 1969, date de rentrée des étudiants, par une équipe exclusivement enseignante  composée, non pas par l’ensemble des enseignants de Vincennes  mais par une minorité active. Edgar Faure signale que les cycles d’enseignements et les diplômes ne correspondront pas à ceux établis par la réforme Fouchet ; toutefois, des équivalences seront assurées avec les titres universitaires. Il précise que l’établissement de Vincennes comprendra des Centres de recherche et que le recyclage des cadres et des enseignants y constituera une activité importante.

 

Il parle aussi de ce que le Cabinet appelle les  trois continuités.

   - L'année continue : les enseignements se poursuivront tout au long de l’année, même l’été; un troisième semestre, de juin à octobre, viendra donc compléter les deux semestres traditionnels, d’octobre à février, et de février à juin.

   - La journée continue: l’établissement sera ouvert de 8 heures à minuit, afin de pouvoir accueillir les personnes qui travaillent.

   - La notation continue: les examens seront supprimés et remplacés par un système de notation continue, en cours d’année, l’enseignement se faisant par petits groupes.

 

Il précise aussi que, pour l'enseignement, il sera fait appel à des personnalités extérieures ayant le statut de professeurs associés et à des étudiants en fin d’études. Il ajoute enfin qu’une École d’architecture et un Institut d’urbanisme seront installés à Vincennes.

 


 

La  Loi  d’Orientation

 

Les grandes lignes de la loi d’Orientation sont présentées à l’Assemblée Nationale le 24 juillet. La version définitive du texte, élaborée  pendant l’été, mise en discussion à l’Assemblée Nationale le 24 septembre, est votée à l’unanimité le 11 octobre. La loi est promulguée le 12 novembre 1968.

 

 

Elle est fondée sur trois grands principes, la cogestion, la participation et l'autonomie.

 

Désormais l’Université sera cogérée à la fois par les étudiants et les enseignants et une représentation importante des personnels ATOS3  , c’est à dire du personnel qui n'est ni enseignant ni étudiant.

 

La participation s’exerce à plusieurs niveaux; des conseils permettront à ces personnels différents de s’exprimer et d’influer sur la destinée de l’Université. Au niveau national, un Conseil national de l’enseignement et de la recherche, lui-même paritaire, composé d’enseignants et d’étudiants, n’est que consultatif; il donne des conseils pour tout ce que propose le Ministère en matière de recherche, de programmes. A un échelon local, les Conseils régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, équivalents de ce Conseil national,  ont à peu près les mêmes fonctions. Ils sont composés à deux tiers d’enseignants et d’étudiants et, pour un tiers, de personnalités extérieures, représentatives des collectivités locales et des activités régionales.

 

 

L’Université, autonome, est désormais une institution à part entière: elle a son propre statut, n’est plus dépendante de l'État ni des différentes institutions: l'autonomie financière et l'autonomie administrative lui sont reconnues. Les décrets d'application de l'autonomie financière seront bloqués jusqu'au delà de 1969 au Ministère des finances. Cette obstruction administrative a déformé à long terme le sens de la réforme: les UER se sont organisées en bastions autonomes et  l'Université y a perdu le jeu démocratique de la répartition des budgets qu'elle n'a jamais vraiment reconquis.

 

Le monde universitaire issu des événements de mai que met en place le Cabinet du Ministre de l'Éducation nationale n'est plus en rien comparable à celui qui prévalait avant "les événements". Les étudiants et les enseignants ont mis en place le Conseil d’Université qui élit en son sein le Président d’Université; par rapport à celui des anciennes Facultés, cette nouvelle instance, le Conseil et son Président, acquiert un pouvoir considérable.

 

Mais il ne s'agit pas seulement de pouvoir. La nature même de l'enseignement devenu pluridisciplinaire a changé: les anciennes Facultés, remplacées par des UER, Unités d’Enseignement et de Recherche, ont maintenant vocation d'associer autant que possible les disciplines autrefois séparées: Lettres, Sciences, Sciences Sociales, Sciences Humaines que l’Université a désormais pour mission de mixer en poussant  les étudiants à établir le programme d'études qui convient à leurs aspirations.

 

Ce renouvellement implique une ouverture vers le monde extérieur. Participent à l’enseignement des enseignants associés qui viennent du monde socio-économique, ou des intellectuels, des écrivains, des étrangers; peuvent participer aux différents Conseils des membres élus, des personnalités extérieures à la vie universitaire, des représentants des activités locales et régionales; l’Université, désormais libre de prendre contact avec ses homologues à l’étranger (elle n’a pas à en référer à une autorité supérieure) favorisera la mobilité au-delà des frontières de ses étudiants et de ses enseignants.

 

Cet ensemble concrétise les propositions du Colloque de Caen. Le Ministère les a formalisées et rendues légales.

 

 

 

 

 


Bilan de l'action gouvernementale

 

Quelles ont alors été les particularités de la politique du Ministère et du Gouvernement en ce qui concerne le projet de Vincennes? 

 

Le bilan peut être formulé en 2 temps: le premier consisterait à dire que le Cabinet a tout fait pour que l’Université expérimentale soit créé avec toutes ses novations. Il a travaillé dans l’enthousiasme; il a soutenu le projet à fond; Vincennes est, d'une manière ou d'une autre, le “bébé” d’Edgar Faure.

 

Et alors que l‘ensemble du Cabinet, Edgar Faure, Michel Alliot, Gérald Antoine, Jacques de Chalendar, ont tous l’air absolument convaincus de l’intérêt de ce projet et semblent, jusqu’au bout et même après la fondation, continuer à le soutenir, on va assister, et c'est le deuxième temps, de la part du Gouvernement et du Ministère, à partir de l’automne selon Pierre Dommergues, dès septembre selon Jean  Gattégno, plutôt  à partir de décembre selon d’autres sources, à un revirement manifeste dont témoignent plusieurs mesures.

 

Sauf celui de la construction ( GEEP a été payé dans les délais et Paul  Chaslin  est affirmatif: à aucun moment, il n’a senti d’hésitations, de revirement ou de désir de ralentir la construction; tout s’est fait dans les temps prévus, à une vitesse effrénée et avec l'appui du Gouvernement), le budget de Vincennes n’est pas arrivé dans les délais prévus. Assia Melamed, mais elle seule à la différence de Jacques de Chalendar, Michel Alliot, Yann Gaillard qui n’avaient pas ce souvenir, soutient qu'il est arrivé en retard; je serais cependant tenté de la croire au vu des difficultés de toutes sortes que le Gouvernement semble mettre, à partir de la fin de l'année 1968, au fonctionnement de Vincennes.

 

Les enseignants sont nommés avec retard, en novembre, décembre, voire janvier et même, pour certains qui ont pris leurs fonctions dès janvier, en octobre 69 seulement. Lorsque le Ministère se rend compte que le nombre d’étudiants inscrits à l’automne 68 est faible, il divise par deux le nombre d’enseignants qui passe de 240 à 120 et qui ne retrouvera son niveau initial qu'après la campagne intensive de Noël 1968 à la radio, et pressions des étudiants et des enseignants avec manifestations et occupation des locaux.

 

Il en va de même des moyens administratifs pour faire fonctionner l’Université. Prévus pour le début septembre, les postes des personnels  administratifs n'ont été créés et ne sont arrivés qu’en janvier. Jusque là, le démarrage de la faculté a été assuré par des amateurs ailleurs en administration, quatre au total, qui ont très bien fait leur travail, avec beaucoup de bonne volonté, mais sans la compétence ni la formation requises.

 

Alors que le principe de l’année continue (pour la première fois en France, une Université aurait fonctionné toute l’année ce qui aurait permis aux étudiants salariés de pouvoir suivre les cours universitaires pendant l’été) était l'un des piliers du projet, dès l'ouverture de Vincennes il est décidé de renoncer à cette mesure qui reviendra sur le devant de la scène plusieurs fois dans  l’histoire de Vincennes mais ne sera jamais mise en application. Plusieurs témoignages soutiennent que le financement est avant tout en cause: un semestre d'été aurait entraîné la création de bon  nombre de postes d’enseignants supplémentaires et par conséquent un budget beaucoup plus important. Un ou deux témoins m'ont affirmé que le Gouvernement avait refusé de débloquer cet argent.

 

La date de la rentrée universitaire à Vincennes fait partie de ces atermoiements. D’après “Le Monde” du 2 octobre, elle était prévue pour octobre; d'après “Le Monde” de fin octobre, elle est repoussée à novembre. Finalement, on dira qu’elle aura lieu en décembre, puis on prétendra qu’elle aura lieu le 6 janvier; elle n’aura finalement lieu que le 13 janvier. Plusieurs témoins m'ont affirmé que des pressions gouvernementales sont seules à l'origine de ce retard puisque la construction des bâtiments était finie dés la seconde quinzaine de novembre et que la rentrée aurait donc pu se faire dés cette période.

 

Le décret de fondation de l’Université de Vincennes, d'après deux témoins, a, de toutes façons, été bloqué sur le bureau du Général de Gaulle pendant plusieurs semaines. Visiblement, beaucoup d’hésitations, beaucoup d’oppositions ont retardé l’adoption du projet. Le Général signera finalement, mais le 7 décembre 1968 seulement. L’Université ne pouvait pas démarrer sans cette signature.

 

A partir de décembre 1968, dit Raymond Las Vergnas dont le souvenir est toutefois assez imprécis, un émissaire du cabinet de Couve de Murville arrive à Vincennes; très souvent sur place, il contrôle tout ce qui s’y passe, donne son avis sur tout et fait tout pour retarder au maximum les décisions à prendre. Bien qu'il ne sache plus très clairement qui était cet homme ni quelle était sa fonction, R Las Vergnas est sûr qu’il était visiblement là pour retarder le projet.

 

Le plus gros revirement gouvernemental apparaît aussi comme  le plus surprenant : la transformation du projet initial d'université expérimentale en un projet de centre supérieur de recherches (cf. le chapitre II B 1, Les fondateurs).

 

On a enfin beaucoup reproché au Gouvernement,  beaucoup de témoins me l’ont dit, de ne pas avoir organisé de publicité pour le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes. On s’attendait à ce que, dès septembre, pour engager les étudiants à s’inscrire, le Ministère fasse une publicité  adéquate. Il n'a diffusé quasiment aucune information et c’est à la toute dernière minute, dans l’extrême urgence devant la perspective d’une Université ouvrant avec la moitié seulement de ses enseignants, que pendant les vacances de Noël 68-69 l’équipe des enseignants s’est prise en charge. La campagne publicitaire gigantesque qu'il a mise en place en un temps record a permis de recruter et le nombre nécessaire d’étudiants, et le nombre d’enseignants correspondant.

 

Comment expliquer de tels changements de cap, ces retards, ces hésitations de la part du Ministère aussi bien que du Gouvernement ? Visiblement, le Ministère était très favorable au projet mais  a été soumis dès le mois de septembre, voire dès la fin août,  à de très fortes pressions extérieures, des pressions anti Vincennes. D’où venaient ces pressions ? De la presse d’abord ; la presse de droite s’est déchaînée contre le Centre Universitaire de Vincennes. Les députés de droite ont fait savoir à Edgar Faure que le projet ne leur plaisait pas, mais la loi d'orientation a été votée le 25 septembre à l'unanimité. L’opinion publique a eu peur de cette Faculté soixante-huitarde et des trublions qu'elle recruterait. Les étudiants gauchistes ont de leur côté décrié cette Fac-vitrine, cette Fac-capitaliste, cette Fac pleine de fric, récupérée par le pouvoir: les étudiants ne sont, au départ, pas du tout venus s’inscrire en masse: l’expérience n’avait pas de succès.

 

Une importante frange du corps professoral ne voulant pas de ce projet, essentiellement les enseignants de la Sorbonne avec à leur tête, Jean-Baptiste Duroselle, ont, d'autre part, fait de fortes pressions sur le Cabinet. Les milieux socio-économiques et les milieux financiers ont, de leur côté, fait savoir au Ministère, à Edgar Faure, que, étant eux-mêmes  parvenus, tant bien que mal, à calmer les choses depuis le printemps 68, la rentrée dans le monde du travail se faisant dans des conditions bien meilleures que prévues, l’agitation existant mais infiniment moindre que ce qui était craint et cette amélioration étant due en partie à l’action des différentes entreprises, il n’était pas question de maintenir un brûlot comme Vincennes qui pouvait relancer l’agitation.

 

D’autre part, à l’intérieur même du Gouvernement, il y a certainement eu des désaccords. Visiblement, certains conseillers du Premier Ministre Couve de Murville étaient opposés au projet Vincennes et l’ont fait savoir; ils trouvaient ce projet et l’équipe du cabinet un peu fous. On a pu lire dans la presse que l'Élysée et Matignon se  dressaient contre Edgar Faure ce qui aurait fait dire au Général: “Si Edgar Faure était fou, ça se saurait”. Le Ministère des Finances de son côté a freiné des quatre fers. A l’intérieur même du Ministère de l'Éducation Nationale, un fossé séparait le cabinet, assez avant-gardiste, du reste des fonctionnaires traditionalistes et consciencieux; les manières de faire des membres du Cabinet et de l’équipe initiale de Vincennes choquaient profondément; ils les sollicitaient sans arrêt, appliquaient des méthodes pas toujours régulières, et, forts de l'appui d'Edgar Faure, réalisaient des quasi miracles dans des délais souvent incroyables. Il est enfin possible qu’à l’intérieur même du Cabinet, le recteur Antoine, assez hésitant vis-à-vis du projet Vincennes, se soit remis à l'avis de Duroselle.

 

Il parait clair, en tous cas, que le Cabinet, très chaud partisan de Vincennes, s’est mis, à partir d’une certaine époque assez difficile à dater mais d'après P Dommergues dès le mois de septembre, à profondément hésiter sur ce projet et l'a peut-être même, à un certain moment, remis en question. Et je suis profondément convaincu que si le Ministère a hésité, c’est en raison des pressions extérieures qu’il a subies et non par un changement d’attitude de sa part. Argument parmi d'autres, une fois la rentrée faite, à partir de février, mars, avril ou mai, les différentes communications émanant des membres du Cabinet, les déclarations de Michel Alliot et d’Edgar Faure pendant l’hiver-printemps 1969 en particulier, concordent: fiers d’avoir mis en place cette Université expérimentale, ils sont satisfaits de la  manière dont elle a démarré et, malgré les nombreuses difficultés qu'elle rencontre, sont heureux d’avoir pu mener à bien un  projet aussi grandiose.

 

LE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS

 

 

1)   Les fondateurs : une bande d’universitaires

 

   Ce qui suit est, plus encore que pour les autres paragraphes, sujet à caution.  L’essentiel de ce que l’on peut savoir, et notamment sur la période mai-août 68, vient quasi uniquement des témoignages des “tout premiers Vincennois” et cela pour une raison simple: tout se passe comme si le projet Vincennes avait été gardé secret (ou presque) par ses concepteurs jusqu’à la mi septembre. Ils avaient, semble-t-il, peur qu’en le divulguant, ce projet devienne la cible des acteurs de Mai, sous prétexte qu’il était récupéré par le pouvoir. Or, il arrive que les témoignages ne se recoupent pas ou bien laissent dans l’ombre un élément de ce puzzle compliqué aux interactions multiples. Ces conditions , 25 ans après, ne permettent donc qu'une reconstitution bien imparfaite et certainement, à certains endroits, en partie fausse. Que le lecteur en soit bien averti.

 

Hélène Cixous et Nanterre

 

    Il est vraisemblable, mais pas du tout certain, que la toute première pierre de Vincennes ait été posée à Nanterre en mai/juin 1968 par Hélène Cixous et son entourage. Elle était à cette époque maître-assistant d’anglais, enseignait à Nanterre, annexe de la Sorbonne et dépendait de l’Institut d’Anglais de cette même Sorbonne.

 

    Elle y observe “les événements”, surprise par la tournure qu’ils prennent, par leur importance et surtout par le désir de destruction de l’Université qu’ils manifestent. Elle entend dire que le Ministère a l’intention de construire pour la rentrée 1968 des bâtiments à la périphérie de Paris, vraisemblablement en “préfabriqué” ou en construction légère. Elle se dit qu’il faut ne pas laisser passer l’occasion, ne pas attendre que tout ce bouillonnement retombe et profiter de tout cela pour créer une Université nouvelle et expérimentale. A-t-elle cette idée toute seule; l’a-t-elle eue au contact des étudiants de Nanterre ou au contact de ses collègues de l’Institut d’Anglais; ou au contact des différents “intellectuels” qu’elle fréquente à l’époque? L’a-t-elle eue par sa connaissance du système universitaire anglo-saxon? Toujours est-il qu’elle en discute passionnément avec ses amis anglicistes de l‘Institut d’anglais, et essentiellement Pierre Dommergues,  ainsi qu’avec R Las Vergnas.

 

 

L’Institut d’anglais

 

    Un des pôles majeurs de la fondation de Vincennes sera ce fameux Institut d’Anglais. Ses membres en seront les acteurs essentiels. Il était dirigé jusqu’en mai 1968 par Raymond Las Vergnas. Parmi les enseignants on trouve Hélène Cixous, Pierre Dommergues et Sylvère Monod; et en liaison avec cet Institut d’anglais, deux anglicistes, B Cassen, à Amiens à l’époque, ami de Pierre Dommergues depuis le début des années 1960, et Jean Gattégno qui enseigne à Tunis cette année là. La plupart de ces enseignants avaient une excellente connaissance du système universitaire américain et même, pour le plus grand nombre, avaient séjourné voire enseigné aux États-Unis. Le système américain servira de modèle pour Vincennes.

 

L’Institut d’anglais est, d’autre part, géographiquement situé à quelques mètres de la Sorbonne, rue de l'École de Médecine et ce point se révèle important en ce qui concerne l’originalité du rôle qu’il a joué.  La Commission d’anglais, qui faisait partie des fameuses Commissions de la Sorbonne et qui siégeait à l’Institut, fût particulièrement productive. Des liens d’amitié s’étaient de la sorte tissés entre tous ses enseignants mais aussi avec les étudiants. On peut penser que cet ensemble de particularités a fait que ce noyau d’anglicistes représente à lui seul, ou à peu près, les fondateurs de Vincennes.

 

R Las Vergnas. De l’Institut d’anglais au décanat de la Sorbonne

 

    R Las Vergnas est jusqu’en mai 1968 le directeur de l’Institut d’anglais. En même temps, et depuis 1965, il est premier assesseur du doyen de la Sorbonne, Marcel Durry, le deuxième assesseur étant, par périodes, Jean-Baptiste Duroselle. Le mandat de Durry se termine en 1967; parce qu’il est à un an de sa retraite, il demande à Las Vergnas de rester Doyen encore un an. Las Vergnas, qui devait très logiquement succéder à Durry, accepte.

 

Les événements de mai vont entraîner la démission de Durry courant mai, avant la fin de son mandat. Ce qui se passe alors est assez surprenant : deux procédures parallèles vont aboutir à l’élection du nouveau doyen. D’une part l’assemblée officielle, à savoir celle des “mandarins” (uniquement les professeurs) se réunit pour désigner le nouveau doyen. D’après ce que j’ai compris cette réunion est perturbée par d’autres catégories d’enseignants qui manifestent vouloir participer au vote et par des étudiants. Certains enseignants seront qualifiés par leurs collègues de démagogues: ils désiraient avant tout ne pas prendre de décision avant que les étudiants se soient exprimés. Finalement cette assemblée désigne comme nouveau doyen R Las Vergnas, avec pour premier assesseur J B Duroselle. Parallèlement, une deuxième assemblée se réunit, constituée, celle-ci, d’étudiants et d’enseignants (visiblement de rang inférieur à ceux de la première assemblée). Elle se déclare la seule légitime. Elle aussi désigne R Las Vergnas comme doyen de la Sorbonne. Le pouvoir étant à ce moment du côté de la deuxième assemblée, Las Vergnas se trouve plutôt “aux ordres” de cette dernière: elle lui accorde une période d’essai à l’issue de laquelle elle le déclare apte. Durant toute cette période, Las Vergnas est “officieusement “ doyen, mais ne l’est absolument pas officiellement ;  pour l’être il eut fallu que la désignation de la première Assemblée dont la procédure de vote aurait dû être plus “correcte” soit avalisée par le Ministre (Peyrefitte puis Ortoli) qui aurait du procéder à la nomination. Finalement, aux alentours de fin juin, la deuxième assemblée, qui l’avait refusé dans un premier temps, accepte que Las Vergnas soit nommé légalement doyen par le Ministre. Pendant tout l'été, Las Vergnas occupera donc ce poste de Doyen; ce qui n’est pas sans importance car il sera le seul, avec Duroselle, à détenir le pouvoir “officiel” de créer une Université.

 

En ce sens on peut dire  que sans lui et sa personnalité, Vincennes n’aurait pas pu se faire. Il a la réputation d’être un homme très ouvert d’esprit et très diplomate. Il saura être à l’écoute des idées novatrices de son entourage et les faire passer auprès du Ministère. Il fut à la fois très critiqué et très approuvé. Les enseignants “de droite” l’ont appelé le “Doyen rouge”; ceux “de gauche” ont trouvé, pour certains qu’il n’allait pas assez loin, pour d’autres ont su très bien utiliser son pouvoir pour faire aboutir leurs demandes.

 

Les tractations du mois de juillet

 

Edgar Faure est nommé à l'Éducation Nationale le 11 juillet. Auparavant Hélène Cixous, Pierre Dommergues et leur entourage avaient parlé à Las Vergnas de ce projet d’université expérimentale. C’est vraisemblablement en juillet que la conception pédagogique de Vincennes va s’ébaucher entre Dommergues, Cixous, Las Vergnas, leurs étudiants, leur entourage et (dans quelle mesure?) les membres du cabinet. Je ne suis pas arrivé à reconstituer ce qui s’est exactement passé (Il serait encore temps d’approfondir les conditions de cette genèse mais les mémoires faiblissent et les opinions se figent). Jusqu’en janvier,  Las Vergnas est suroccupé; il fait trop de choses, en charge à la fois de la Sorbonne et du projet Vincennes; c’est sa plus grosse difficulté et il n’en manque pas. Le cabinet d’Edgar Faure organise durant ce mois de juillet des réunions de Doyens des Universités de la région parisienne, au Ministère, pour discuter de l’avenir de l’enseignement supérieur et des locaux à construire. Très vite, Las Vergnas, débordé, s’y fait remplacer par P Dommergues. En même temps, comme déjà vu, le cabinet ( en particulier ceux qui ont joué un rôle important pour la rénovation du système et la création de Vincennes, M Alliot, J de Chalendar, le Recteur Antoine) prépare activement le discours d'Edgar Faure à l’Assemblée Nationale (24 juillet) sur la rénovation du système universitaire. Aux alentours de la fin juillet, Las Vergnas se fait aussi  remplacer, par Duroselle cette fois, aux réunions du cabinet sur la rénovation du centre de l’OTAN situé porte Dauphine. Duroselle était en juillet enseignant à Bologne, en Italie; il est rappelé en urgence par Las Vergnas; il fera donc une série d’aller-retours entre Paris et Bologne.

 

Le dernier élément majeur du noyau initial entre alors en scène. Il se trouve en Écosse (en vacances ou en stage pédagogique?) fin juillet où il reçoit un coup de téléphone de P Dommergues lui disant qu’une Université nouvelle est en train de se monter et qu’on a besoin de lui tout de suite. Il rentre d’urgence. Cet homme c’est B Cassen, le grand ami de Dommergues. L’équipe principale est désormais constituée de fait. C’est essentiellement sur les épaules de ces trois personnages que va se mettre en place la future université de Vincennes: H Cixous, P Dommergues, B Cassen. Il faut certainement adjoindre à cette équipe d’enseignants une équipe d’étudiants. Je ne sais pas bien ce qu’ils ont fait,  mais il semble qu’ils ont été assez actifs dans la mise en place du projet durant ces mois de juillet et août et au-delà. Ce sont tous des étudiants de l’Institut d‘Anglais: M Royer, Noëlle Batt, F Poirier et Francine Palant. Étudiants de Dommergues et Cixous, ils ont clairement établi avec eux des liens d’amitié. Aux alentours de la fin juin, Dommergues et Cixous les réunissent et leur demandent de constituer une revue de presse: ils doivent découper tous les articles portant sur l’enseignement supérieur parus entre début mai et fin septembre (à peu près) dans plusieurs journaux dont ils se répartissent la lecture. Cixous et Dommergues, à qui ils doivent transmettre sur des feuilles 21X27 tous ces articles, leur disent que “cela va être utile”; ils ne sauront jamais vraiment à quoi et si leur travail aura servi. Il me semble évident qu'il leur avait été demandé pour argumenter la réflexion sur la rénovation du système et  la mise en place du futur Vincennes. Il est probable qu'à ces étudiants il faut en ajouter d’autres pour l’instant méconnus, de même qu’il est très vraisemblable qu’autour de ce noyau d’enseignants ont gravité d’autres personnes pour l’instant non repérées.

 

Cette équipe d’enseignants sera étoffée en septembre: Sylvère Monod s’occupera du recrutement des enseignants et Jean Gattégno des inscriptions des étudiants et de l’administration; y jouera encore un rôle essentiel, le constructeur de Vincennes Paul Chaslin; il entre dans la course aux alentours du 20 juillet; nous verrons comment.

 

“J'ai fait un rêve”

 

          “J'ai fait un rêve...”  : 24 ans après R Las Vergnas se souvient l’avoir dit à E Faure lors d’une réunion de travail le lundi 5 août 1968. “ j'ai fait le rêve d’une Université complètement différente où rien ne serait comme avant, une université expérimentale” . En effet ce jour-là Las Vergnas présente à E Faure la première ébauche de Vincennes. Dommergues, Cixous, Cassen et consorts après divers réflexions et débats avaient déjà présenté ce projet à Las Vergnas. Il s’agit d’établir à Paris ou sur sa périphérie une université:

- ouverte aux travailleurs et notamment aux non bacheliers

- cogérée par les étudiants et les enseignants

- prodiguant un enseignement interdisciplinaire et beaucoup plus souple; les certificats, supprimés, seraient remplacés par un système d'"unités de valeur "

- recrutant des enseignants compétents dans leur domaine, qu'ils soient ou non pourvus des diplômes actuellement exigés.

 

E Faure est enchanté par le projet et, quelques jours plus tard, nommera Las Vergnas “Chargé de mission” pour le centre expérimental de Vincennes (nomination officialisée par le B.O. du 9 septembre 1968). Cette date du 5 août, un des seuls repères sûrs parce que vérifié par plusieurs sources, semble être le vrai coup d’envoi du projet Vincennes. 


 

Au boulot !

 

 Durant cet été 68, l’équipe initiale a beaucoup travaillé. Les tâches n’ont pas été réparties de façon rigoureuse ni logique, tout le monde s’occupant un peu de tout sans qu'aucun critère précis ne préside aux choix. Cependant, rétrospectivement il est possible d'esquisser les grands traits des occupations principales de chacun. 

 

Raymond Las Vergnas,  du fait de son statut a été le garant de la légitimité de l’opération. C’est à lui que devront parvenir les candidatures des enseignants pour Vincennes; c’est lui seul qui pourra proposer les nominations des enseignants au Ministre. Mais, “patron” en titre, il a, en réalité et très vite, du fait de ses occupations, délégué le “pouvoir de terrain” à Pierre Dommergues, Hélène Cixous  et Bernard Cassen.

 

Jean Baptiste Duroselle  a joué un rôle important dans les choix pédagogiques; c'est lui qui (avec Hélène Cixous, Pierre Dommergues, et probablement d'autres) eut l'idée de s’inspirer du système américain pour mettre en place le système des Unités de Valeur. Il sera par la suite, Président du noyau cooptant.

 

Hélène Cixous  avait, depuis longtemps, tissé de nombreux liens avec des “intellectuels”. Durant l’été 68, elle contacta ses amis pour l’aider d'abord à mettre en place la trame pédagogique de Vincennes, mais aussi à choisir les enseignants qui formeront le noyau cooptant. Elle ne s’est apparemment pas beaucoup occupée de tout ce qui concerne la construction de Vincennes, ni de l’intendance ou du matériel et a été très peu en contact avec le Ministère, probablement par choix idéologique. Pour beaucoup, à l'époque, le Ministère était perçu comme la source de toute compromission, la Bête de l'apocalypse, le Diable.

 

Pierre Dommergues  et Bernard Cassen  se sont essentiellement occupés durant septembre de la construction de l’université. C’était l’urgence absolue: il fallait que les bâtiments de cette université soit  finis pour la rentrée universitaire. En contact permanent avec Paul Chaslin, le constructeur de Vincennes, ils assuraient la liaison avec le cabinet du Ministre, donc avec l’équipe que constituait Michel Alliot, Jacques de Chalendar, Gérald Antoine et  monsieur Blot. Durant tout l'été 68, ils sont passés au ministère, souvent tous les jours et au moins chaque semaine apportant une idée, un projet nouveau, les discutant accueillant toutes les propositions. Ils restent encore très surpris de voir à quel point leurs idées ont été bien accueillies, à quel point des projets qu’ils croyaient irrecevables ont été acceptés, pour la construction de Vincennes notamment, mais aussi pour les avancées pédagogiques que comportait le projet de Vincennes. Ces attributions les ont amenés aussi à prendre contact avec les futurs enseignants et, comme Hélène Cixous, à  participer à la préparation du noyau cooptant.

 

Tous les trois, Hélène Cixous, Pierre Dommergues et Bernard Cassen ont finalement commencé à bâtir le programme pédagogique de Vincennes.

 

L’équipe se renforcera en septembre de Sylvère Monod. Ayant succédé à Raymond Las Vergnas comme directeur de l’Institut d’anglais depuis que celui-ci était devenu doyen de la Sorbonne, il en reçoit alors un appel pour apporter sa contribution à la fondation de Vincennes. Il est intéressant de noter que, dans la deuxième quinzaine de septembre, Sylvère Monod a été convoqué par Pierre Dommergues et Bernard Cassen qui le connaissaient; ils lui ont posé beaucoup de questions sur son parcours, ce qu’il faisait... Il en a gardé le sentiment d'avoir subi une sorte d’examen de passage pour savoir s'il était un bon Vincennois c'est à dire, de ce qu’il croyait être les critères de ses examinateurs, être visiblement de gauche, être d’esprit ouvert, réceptif à des idées nouvelles et surtout n'être ni opposé au mouvement de mai ni anticommuniste.

 

Coopté de fait, Sylvère Monod se trouve, sans préparation particulière, responsable du recrutement des enseignants et de la mise en place du fameux noyau cooptant. Il animera notamment une commission qui doit préparer sa création et réfléchir au mode de désignation des enseignants.

 

Jean Gattégno, enfin, jusque là en Tunisie où il enseignait avec Michel Foucault, sera le dernier élément de cette équipe. Durement condamné par contumace, il ne peut plus revenir sur le sol tunisien (il lui faudra attendre 1989 pour être amnistié) mais, heureusement  pour lui, un poste se libère à la Sorbonne; Raymond Las Vergnas le lui propose et il l'accepte. Il aura évidemment,  par la suite, un poste à Vincennes. Sachant qu'il est enseignant en anglais, l'équipe lui offre de s’occuper de tout ce qui concerne l’inscription des étudiants. C’est donc lui qui  prend en charge cette importante responsabilité; importante car, à cet automne 1968, les inscriptions conditionnent d'une certaine manière l’ouverture de Vincennes. La structure et les locaux étaient prévus pour des effectifs de  7.500 étudiants . La faculté expérimentale était loin  d'avoir atteint en novembre ce nombre d'inscriptions. Les fondateurs ont alors cherché le moyen de faire inscrire, en nombre et vite, les étudiants qui manquaient. Le centre névralgique de cette manoeuvre stratégique, comme de toute la phase active de cette intense gestation est installé, dans l’appartement d’un des fondateurs, rue Claude Bernard; tout le monde s'y retrouve pour discuter, pour réfléchir, pour écrire, pour être en contact avec le cabinet, pour mettre en place toute cette machine, qui était Vincennes. On a hésité un peu, dans l'été, à installer la future université expérimentale Porte Dauphine, dans l’ancien bâtiment de l’OTAN ou dans le bois de Vincennes; finalement, on choisit le bois de Vincennes, entre autres raisons parce que cet appartement était beaucoup plus proche du bois de Vincennes que de la porte Dauphine.

 

 

 

 

Le Centre supérieur de recherches

 

L'événement que je vais raconter maintenant est difficile à dater: selon Bernard Cassen, il se serait produit  fin août, début septembre; selon Pierre Dommergues, en octobre. Ils en ont été presque les seuls témoins ce qui empêche pour l'instant  d'en déterminer la date exacte.

 

Toujours est-il, que soit fin août-début septembre, selon B Cassen, soit , selon P Dommergues, octobre, ces deux fondateurs sont convoqués au cabinet par Gérald Antoine; il leur est signifié 1) qu'ils ne sont plus responsables du  projet de Vincennes et que 2) le projet change de vocation. Il ne s’agit plus de créer une université mais, au même endroit et dans les mêmes bâtiments, un centre supérieur de recherches ouvert aux étudiants à partir de la maîtrise, donc aux étudiants de maîtrise et de troisième cycle.

 

Cette idée avait été proposée par Jean Baptiste Duroselle qui, en cette fin d'été, a repris de plus en plus de poids universitaire; son statut lui procure un pouvoir que ne possèdent ni Dommergues, ni Cassen, ni Cixous et leurs acolytes pourvus du seul titre de maître-assistant.

 

Surpris mais bien décidés à ne pas se laisser faire Dommergues et Cassen se tournent vers le parti communiste, notamment en la personne de Guy Bois, responsable de la section SNESup de la Sorbonne (futur enseignant de Paris 7). Ils lui demandent de les soutenir et d’agir de sorte que restant partie prenante du projet, ils en assurent la pérennité: créer l’université expérimentale.

 

Après avoir consulté les instances du parti communiste, Guy Bois leur répond qu'il est d’accord pour intervenir de sorte qu'ils restent dans le projet dans la mesure où, et il le leur signifie, le parti communiste s’intéresse à la création de cette université, qu'il est décidé à mettre tout son poids pour soutenir le projet Vincennes et leur action.

 

Avec ce soutien et celui de plusieurs autres influences, Dommergues et Cassen retrouvent leur places; il n’est plus question de monter un centre supérieur de recherches, mais bien une université.

 

Comment expliquer un tel événement ? On peut, me semble-t-il, le considérer comme le témoin d'un certain flottement du Ministère. Il parait évident que le cabinet du ministre a subi des pressions pour que le projet de Vincennes se réalise sous une forme différente de celle qui avait été initialement prévue. Quant aux responsables de ces pressions éventuelles, il en existe plusieurs interprétations possibles. A suivre Bernard Cassen qui date l'événement de fin août, début septembre, puisque le projet est alors encore quasiment secret, J B Duroselle, seul ou avec son entourage, déjà opposé depuis un certain temps à la tournure que prenait le projet, se trouve impliqué. Pour Pierre Dommergues qui date l'événement d'octobre, le projet était déjà connu du public. On peut alors penser que les pressions de la droite enseignante, de l'Assemblée nationale, des milieux d'affaire, de l'opinion font hésiter le Ministère et le font se rapprocher des vues de la plupart des enseignants de la Sorbonne qui sont aussi celles de J B Duroselle.

 

L’équipe

 

Cette équipe restera en place relativement longtemps, quasiment jusqu’en décembre et conservera un pouvoir relativement important même une fois le noyau cooptant en place. Mais les choix à faire et l'évolution du projet rapprochent d’un coté Jean Gattégno, Hélène Cixous, Jean-Baptiste Duroselle et de l’autre Bernard Cassen, Pierre Dommergues et d’autres dont Michel Royer, ainsi que certains enseignants communistes. Les désaccords portent d'abord sur l'importance des innovations pédagogiques, certains ne souhaitant pas, en particulier, que l’université soit ouverte aux non bacheliers et d'abord sur la création de ce Centre supérieur de recherches à la place de l’université. Le désir de mettre en place un tel centre peut être interprété comme la crainte d'être confrontés aux première, deuxième et troisième années des étudiants, de toute évidence les plus nombreux, de toute évidence aussi, les plus agités et qui créaient le plus de problèmes en amphi et en cours.

 

Les désaccords ont aussi porté, selon Jean Gattégno, sur la façon dont devait être gérée cette université. Certains qui ont traité Pierre Dommergues et Bernard Cassen de “gestionnaires”, leur reprochaient de privilégier l’université pour elle même; il fallait qu'elle ouvre, qu'elle marche. Pour ceux que Jean Gattégno a qualifié d’anti gestionnaires, il était au moins  aussi important que les décisions soient prises de façon relativement démocratique et qu'une gestion moins organisée laisse plus de place à de l’informel.

 

Jean-Baptiste Duroselle, qui considérait que cette université avait pris une tournure un peu trop politisée, un peu trop gauchiste, a préféré ne pas continuer dans cette voie et a démissionné alors qu’il était juste pressenti pour être le premier doyen de Vincennes. Au retour des vacances de Noël, après un seul jour d’enseignement, il est tombé malade et a finalement démissionné de son poste  à Vincennes pour trouver un poste d’enseignant à la Sorbonne.

 

Jean Gattégno, lui, a démissionné de son poste de responsable des inscriptions lorsqu'il a appris que, sans qu'il ait été consulté, les inscriptions seraient closes aux alentours du 20 janvier et qu’aucune autre réinscription ne serait admise;  mais il est resté enseignant à Vincennes.

 

Finalement, juste avant la rentrée du 13 janvier,  il a été décidé de mettre en place ce que l’on a appelé la délégation des dix, soit un représentant élu par chaque département. Cette instance, plus démocratique, devait gérer la rentrée universitaire et l'université au mieux en attendant que les étudiants et les enseignants au complet élisent le Conseil et le Président d’université; elle devait aussi préparer ces élections.

 

D'après mes sources, elle était constituée de Pierre Dommergues, Bernard Cassen, Hervouet, enseignant de chinois, Jean Cabot enseignant de géographie, Michel Béaud enseignant en économie, Droz, enseignant d’histoire, Claude Frioux enseignant de russe, Galissot, Gilbert Badia et Guisselbrecht, ces deux derniers conférant, pour certains, du sérieux à l’image de Vincennes.

 

 

2)   La commission d'orientation

 

Je ne sais pas très bien d’où est venue l'idée; est-ce de Raymond Las Vergnas? est-ce de l’équipe de départ ? est-ce du Ministère ? Le problème posé était de mettre en place l’ensemble des enseignements de Vincennes ex nihilo. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas créé une Université de toutes pièces, et surtout créé un corps enseignant en si peu de temps, en l’espace de quelques mois. Il fallait donc inventer un mode de désignation des enseignants qui soit nouveau par rapport à ce qui se passait ailleurs. Jusque-là dans les autres universités, c’étaient les enseignants en place dans l’université, “les anciens”, qui cooptaient leurs futurs collègues. A Vincennes, il n’y avait pas d’anciens, donc pas de possibilité de procéder ainsi. Certains, qui firent pression, ont voulu que ce soient les enseignants de la Sorbonne qui cooptent les futurs enseignants de Vincennes. L’équipe de départ refusa.

 

Il fut donc décidé de mettre en place un noyau cooptant, c’est à dire un premier groupe d’enseignants chargés de coopter l’ensemble des enseignants de Vincennes.

 

Qui a choisi les membres du noyau cooptant ? Il est difficile de le déterminer avec précision mais, grosso modo, ce fut l’équipe initiale. Pour éviter l’arbitraire, il fut décidé qu’une Commission strictement consultative serait mise en place. Elle serait garante du bon fonctionnement du recrutement des enseignants, garante de la mise en place du noyau cooptant et de sa crédibilité. Sa tâche principale était d’examiner la liste du noyau cooptant. On l'appela Commission d’Orientation. Pour garantir un minimum  d’objectivité, les membres de la Commission d’Orientation n’avaient pas le droit d’être candidats à Vincennes. 

 

Cette Commission n’a pas fonctionné longtemps; elle fut mise en place en septembre, mais sa constitution officielle date du 5 octobre 1968. Les membres de cette Commission, d'après Hélène Cixous, furent choisis en fonction de 2 critères : que le Ministère leur fasse confiance et qu’ils soient prêts à accepter la nomination d’enseignants “de gauche”.


 

MM Balandier et Viannay se sont particulièrement impliqués. Une fois que le noyau cooptant a été au complet, la Commission a été consultée. Dans un troisième temps, Raymond Las Vergnas a proposé l’ensemble des membres du noyau cooptant à la nomination du Ministre de l'Éducation Nationale. Cette Commission était composée de 25 membres et présidée par Raymond Las Vergnas.


 

La "Commission d'Orientation" de Vincennes

 

               Liste des 24 membres

MM. Balandier, professeur de Sociologie à la Sorbonne,

Barbut, professeur associé de mathématiques à la Sorbonne,

Roland Barthes, directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études,

Brochier, professeur des Facultés de Droit,

Canguilhem, professeur de philosophie à la Sorbonne,

Chatelain, directeur des Musées Nationaux,

Colliard, professeur à la Faculté de droit de Paris,

Colin, professeur à la Faculté de droit de Paris,

Derrida, maître-assistant à l'École Normale Supérieure,

Dresch, professeur de géographie à la Sorbonne,

Dupeyroux, directeur des études à l'École Nationale d'Administration ,

Dutheillet de la Motte, maître des requêtes au Conseil d'État,

Genette, maître-assistant à l'École Pratique des Hautes Études,

Grosser, professeur à l'Institut d'Études Politiques de Paris,

Jankélévich, professeur de philosophie à la Sorbonne,

Las Vergnas, Doyen de la Sorbonne,

Le Roy Ladurie, directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études,

Minder, professeur d'allemand au Collège de France,

Oléron, professeur de psychologie à la Sorbonne,

Perroy, professeur d'Histoire à la Sorbonne,

Reuchlin, directeur de l'Institut National d'Orientation Professionnelle,

Schutzenberger, professeur de mathématiques à la Faculté des Sciences

         de Paris,

Touchard, Secrétaire de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,

Vernant, directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études,

Viannay, vice président du centre de formation des journalistes.


 

3)  Le noyau cooptant

 

          Il est difficile de savoir qui a désigné les membres de ce noyau cooptant. D'après les témoignages que j'ai pu recueillir, il semblerait que ce soient encore essentiellement les trois mêmes: Bernard Cassen, Pierre Dommergues et  Hélène Cixous, cette dernière  y prenant une place prépondérante. Durant l'été, à la fois pour la constitution du noyau cooptant et pour la conception pédagogique de Vincennes, elle a contacté plusieurs intellectuels dont certains étaient de ses amis. Il en est ainsi de Jacques Lacan: Hélène Cixous l'a considéré comme “non institutionnel”, craignant que le poids qu’il représentait ne “démolisse” l’édifice et  a refusé sa candidature. Toutefois, elle a écouté ses avis et accepté que soient nommés à Vincennes plusieurs lacaniens. Elle a, d'autre part, consulté  Derrida, (qui était un de ses intimes, enseignant à l'École Normale Supérieure. Il n’était pas intéressé par Vincennes, mais fut membre de la Commission d’orientation), Cortazza, Fuentes, Octavio Paz, Roland Barthes, Gilles Deleuze...

   

Pour recruter les enseignants, les premiers organisateurs de Vincennes se seraient répartis les différents départements. En fait, les choses ne sont pas aussi claires que cela.

 

On peut tout de même dire qu'Hélène Cixous s’est plutôt occupée du recrutement des départements de sociologie, de littérature française, de philosophie, de mathématiques (beaucoup d’enseignants ont abandonné le projet assez rapidement), et de quelques anglicistes; elle a proposé de venir à Vincennes à quelques enseignants comme Lecerf en informatique, Rivette en linguistique, Miquel en arabe, Passeron en sociologie, en littérature française Jean Levaillant et quelques autres enseignants dont certains  avaient été actifs en mai 68, en littérature française, Richard, Deguy, Todorov.

 

Bernard Cassen s’est occupé des départements d’histoire, de géographie, d’espagnol, et, en général, des départements qui avaient à leur tête un communiste ou quelqu’un dans la mouvance du parti communiste.

 

Pierre Dommergues a fait venir à Vincennes ou a été en contact avec Michel Foucault (philosophie) Gérard Miller (psychanalyse), Claude Frioux (russe) Gérard Genette, Madeleine Rébérioux (histoire), Jacques Julliard (histoire).....

 

Serge Leclaire, d'après Hélène Cixous, s’est occupé du département de psychanalyse.

 

Jean-Luc Godard a posé sa candidature au département de cinéma et était pressenti pour en être le responsable. Sa candidature n’a pas été jugée sérieuse par les autorités, le Ministère ayant peut-être eu peur de sa présence à Vincennes. C’est Marie-Claire Repars qui fut nommée.

 

Si l'on en croit Hélène Cixous, beaucoup de départements ont disparu dès l’origine parce que beaucoup d’enseignants, ne pouvant pas obtenir un nombre de postes suffisant, ont préféré aller fonder des laboratoires de recherche ailleurs.

 

Tous les cooptants furent reçus individuellement par Hélène Cixous (et probablement par Pierre Dommergues et Bernard Cassen). Par contre,  une fois le noyau cooptant en place, la désignation des enseignants s’est faite généralement à l’intérieur de chaque département, avant discussion dans le noyau cooptant.

 

Je ne sais pas bien à partir de quelle date a commencé à fonctionner ce noyau cooptant, n'ayant trouvé aucun document officiel qui en authentifie la création ou l'existence. D'après Hélène Cixous, ce serait dès la fin de l’été, et en tous cas avant octobre, d'après Assia  Melamed, à partir de septembre. Il est clair que toute cette période est vécue par les premiers acteurs dans l'improvisation la plus totale; les contacts individuels, les relations d'amitié, les hasards des rencontres, les discussions aux terrasses de café jouent le rôle essentiel pour le recrutement d'une équipe dont les fondateurs veulent assurer une cohérence dans la diversité; il n'est alors pas étonnant que les documents soient  rares et les souvenirs souvent flous.

 

Tous ne sont d'ailleurs pas d'accord sur cette procédure de recrutement;  Jean Baptiste Duroselle et Gérald Antoine, en particulier, auraient préféré un autre mode de désignation des enseignants.


 

Et sur quels critères ont donc été choisi les enseignants cooptants ?

 

Là encore, les avis divergent.

 

Pierre Dommergues désirait embaucher à Vincennes des étudiants en fin d’études, des jeunes, des vedettes, par opposition à des enseignants classiques; il se souvient des critères qui guidaient leurs choix: innovation dans la pensée ou la pédagogie; une certaine conception de mai 68 (“Les enseignants qui n’auraient pas pu être sur les barricades, n’étaient pas pris ; les meilleurs de l’esprit de mai”. ); le respect d’un certain équilibre politique entre les enseignants  communistes et les enseignants du SNESup

    

Pour Sylvère Monod, les enseignants retenus étaient en général soit gauchistes, soit communistes, soit “naïfs” (c’est à dire pas bien au fait des tractations politiques). Pour lui, beaucoup des candidats à Vincennes recherchaient une promotion, pensaient gravir un échelon dans la hiérarchie universitaire: s’ils étaient étudiants ailleurs, ils briguaient un poste d’assistants à Vincennes; s’ils étaient assistants, ils espéraient un poste de Maître de Conférences à Vincennes;  déjà Maître de Conférences, ils souhaitaient  devenir Professeur à Vincennes...


 

Résumer les critères de sélection retenus par le noyau cooptant dessine le profil de ce que sera le corps enseignant et, d'une certaine manière, l'"esprit" de Vincennes tel que l'avait conçu ses fondateurs avant que les étudiants n'y mettent leur marque.

 

critères d’affinité : il semble évident que les différents enseignants de départ ont choisi leurs collègues parce qu’ils se sentaient en communion d’idées avec eux ou qu’ils les connaissaient au préalable.

 

critères politiques : on peut résumer la situation en disant  que ce qui a été prépondérant dans le choix de l’équipe de départ, c’est le fait qu’il s’agit  généralement soit de gauchistes, soit de communistes, soit de gens qui ont  simplement  participé au mouvement de mai 68, ou en tous cas qui ne s’y sont pas opposés.

 

 critères de compétence,  en matière d’enseignement et de recherche, bien entendu.

 

critères de cohérence: des équipes constituées ont été préférées à des individualités.

 

critères d’appartenance à un courant de pensée:  structuralisme, lacanisme, existentialisme...

 

critères d'ouverture au monde: les fondateurs ont délibérément accueilli des enseignants étrangers et des enseignants associés.


 

Les réactions

 

Ce mode de désignation, étrangement nouveau pour une Université française, a fait réagir le monde enseignant. Ainsi, début  octobre 68, le SNESup a demandé que “les étudiants et les enseignants exercent un contrôle réel sur l’élaboration des projets et sur la procédure de nomination du personnel enseignant dans les trois Centres expérimentaux de la région parisienne, Dauphine, Antony, et Vincennes.” Il a appelé à une Assemblée Générale, le 5 octobre, à la Sorbonne, tous les étudiants et les enseignants concernés par ces trois Centres pour débattre de ces problèmes. Dans un communiqué, à la suite de cette réunion, 1) il précise qu'il est souhaitable que les équipes constituées puissent faire acte de candidature; 2) il demande que soient explicités les critères de choix et il trouve dommage que la publicité n’ait  pas été faite à ce sujet; 3) il propose que siège aux côtés du noyau cooptant une commission mixte constituée de membres de l’Administration et de membres de syndicats représentatifs du personnel; 4) il propose aussi que les équipes aux projets intéressants qui seraient refusées dans les centres expérimentaux  de la région parisienne puissent se présenter dans d’autres facultés déjà existantes de sorte que la rénovation universitaire ne soit pas réservée aux établissements pilotes; et 5), pour finir, il propose que le délai de candidature soit repoussé, au-delà du 18 octobre; en effet, le Bulletin Officiel de début octobre 68 précisait que, sauf les professeurs, la date limite de candidature des enseignants était fixée ce jour-là. En fait, tous les enseignants n’étaient pas désignés le 18 octobre; de nombreuses candidatures arrivées beaucoup plus tard ont tout de même été prises en compte.

 

Le SGEN et la Société des Agrégés ont réagi à cet appel considérant que la nomination des enseignants devait être impartiale et que ni un Syndicat ni les étudiants ne devaient intervenir: la démarche du SNESup était malvenue. A la mi octobre,  le SNESup a précisé son  attitude: il optait évidemment pour que la nomination des enseignants obéisse à des critères scientifiques et s'engageait à veiller à ce que tous les dossiers de candidatures soient examinés.

 


 

La composition

 

Raymond Las Vergnas avait chargé Jean Baptiste Duroselle de présider le noyau cooptant, ce qu'il avait accepté. Mais qui  donc en était membre et combien étaient-ils ? Les avis divergent et il est difficile de se faire une opinion. J'ai eu accès à deux listes, l'une fournie par Sylvère Monod, l'autre donnée aux étudiants début octobre 68, qui énumèrent les premiers enseignants nommés à Vincennes : elle reproduit très probablement la liste du noyau cooptant, mais le témoignage de Claude Mossé et celui d'Hélène Cixous sont différents et non concordants. Les divergences portent d'abord sur le nombre: la liste de Sylvère Monod comporte 35 membres, celle de la note aux étudiants 39;  celle d'Hélène Cixous 36, et une liste du Nouvel Observateur (du 11 novembre) en comporte 39; cette dernière apparaît identique à celle fournie aux étudiants début octobre mais, dans le même article, le journaliste évoquant le noyau cooptant cite le chiffre de 31 membres. J’ai tendance à considérer que la bonne liste serait celle fournie aux étudiants (39 membres). En effet, celle de Sylvère Monod ne comporte pas le nom de Claude Mossé qui m’a affirmé (et prouvé) qu’elle en faisait bien partie.

 

La liste la plus vraisemblable proposé par Raymond Las Vergnas au Ministre de l'Éducation Nationale pour nomination, s'établirait alors ainsi :


Noyau cooptant

 

           

 

 

 

            *  Alain Badiou, Philosophie,

            *  M. Bellemin-Noël, Littérature française,

            *  Guy Berger, Psychologie,

            *  M. Bouvier, Histoire

            *  Jean Bruhat, Histoire,

            *  Jean Cabot, Géographie

            *   M. Castel, Sociologie,

            *  Mme Catala, Sciences économiques,

            *  Hélène Cixous, Anglais,

            *  M. Devisse, Histoire,

            *  Pierre Dommergues, Anglo-américain,

            *  Jacques Droz, Histoire;

            *  M. Dubois, Linguistique,

            *  Jean Baptiste Duroselle, Histoire,

            *  M. Fernandez, Italien,

            *  Michel Foucault, Philosophie,

            *  M. Fouet, Géographie,

            *  Mme Frazee, Anglo-américain,

            *  M. Gross, Linguistique,

            *  M. Julliard, Histoire,

            *  Melle Kaufholz, Allemand,

            *  Y. Lecerf, Informatique,

            *  M. Le Ny, Psychologie,

            *  M. Levaillant, Littérature française,

            *  M. Marcus, Espagnol,

            *  M. Miquel, Arabe,

            *  M. Mitterand, Littérature française,

            *  Sylvère Monod, Anglais,

            *  Claude Mossé, Histoire

            *  M. Nicolaï, Sciences économiques,

            *  M. Passeron, Sociologie,

            *  M. Raillard, Littérature française,

            *  M. Richard, Littérature française,

            *  M. Rouvier, Histoire des idées et institutions

                            politiques, 

              *  Michel Serres, Philosophie,

            *  Guy Tosi, Italien,

            *  M. Urrutia, Espagnol,

            *  M. Veyrenc, Russe,

            *  M. Zemb, Allemand.

 


 

La liste de Sylvère Monod est identique à la liste ci-dessus moins 4 noms: Claude Mossé et M. Bouvier en Histoire, M. Fernandez en Italien, et M. Frazee en Anglo-américain.

 

Il avait été prévu pour Vincennes 240 enseignants. Or, fin octobre, début novembre, 3.500 étudiants seulement étaient inscrits sur les 7.500 attendus. C'est alors que le Ministère a décidé, en invoquant cette raison, et probablement en fonction des pressions extérieures dont j'ai déjà fait état, de diviser par deux le nombre d’enseignants. Cette situation a entraîné pendant les vacances de Noël le battage publicitaire improvisé sur France-Inter et d’autres médias jusqu'au succès de la mi janvier où le chiffre recherché, 7500 étudiants, a été atteint, justifiant la nomination des 240 enseignants (cf.  II C3, L'administration).

 

La  création des postes s’est faite en deux temps:  maîtres de conférences, maîtres-assistants, et assistants, publiée dans le Bulletin Officiel du 3 octobre 1968, soit:

-  50 postes  de Maîtres de Conférences :

 

*  français, 4

*  histoire, 6

*  géographie, 3

*  philosophie, 2

*  sociologie, 3

*  psychologie

*  linguistique, 2

*  anglais et américain, 10

*  espagnol, 4

*  allemand, 3

*  russe, 2

*  italien, 1

*  chinois, 1

*  mathématiques, 2

*  droit public, 1

*  droit privé, 1

*  sciences économiques, 2

 

        -  65 postes de Maîtres-assistants :

*  français, 6

*  géographie, 4

*  histoire, 8

*  sociologie, 2

*  philosophie, 2

*  psychologie, 4

*  linguistique, 3

*  anglais et américain, 12

*  espagnol, 5

*  allemand, 4

*  russe, 3

*  italien, 1

*  arabe, 1

*  mathématiques, 4

*  droit public, 2

*  droit privé, 1

*  sciences économiques, 3

 

- 80 postes d’assistants :

*  français, 4

*  histoire, 7

*  géographie, 5

*  philosophie, 3

*  sociologie 6,

*  psychologie, 4

*  linguistique, 4

*  anglais et américain, 16

*  espagnol, 8

*  allemand, 5

*  russe, 5

*  italien, 2

*  chinois, 2

*  mathématiques, 3

*  droit public, 2

*  droit privé, 2

*  sciences économiques, 2

 

180 postes d’enseignants au total, professeurs non compris .  Début octobre, il a été question d’y adjoindre une vingtaine de postes d’enseignants associés.

 

Dans un deuxième temps, le Bulletin Officiel de la mi octobre, publie 20 chaires de professeurs pour Vincennes:

 

*  histoire, 4

*  anglais et américain, 3

*  lettres, 2

*  géographie, 2

*  philosophie, 1

*  psychologie, 1

*  sociologie, 1

*  linguistique, 1

*  allemand, 1

*  russe, 1

*  italien, 1

*  sciences économiques, 1

*  histoire des idées et institutions

politiques, 1

 

 

Pour finir, à compter du 1er janvier 1969, 4  postes supplémentaires furent créés: deux de Maîtres de Conférences, un en Études théâtrales, un en Arts Plastiques, et deux emplois de Maîtres-assistants, un en Esthétique et histoire du Cinéma, et un en Musique.

 

Il apparaît que les enseignants des deux départements d'anglais et d'américain (anglo-américain et études anglaises) se sont taillés la part du lion; ils ont obtenu 41 postes sur 119 (si l'on ne compte pas l'apport des enseignants associés), soit presque le cinquième de l'ensemble des postes; ce qui s'explique très vraisemblablement par la composition de l'équipe initiale formée quasi exclusivement d'anglicistes.



 

LES MOYENS

 

 

1)  L’intendance: finances et commerce

 

La construction de Vincennes a coûté à peu près trente millions de francs  1968. C’est ce que révèle Le Monde du 10-11 novembre 1968. Je n’ai pu avoir de confirmation auprès d'aucune des personnes concernées, qui ne se souviennent pas , sauf auprès de Bernard Cassen ni aux archives du Ministère de l'Éducation nationale (difficultés d’accès). Après beaucoup d'hésitations (il n'existait pas à l'époque de marché des universités), il fut décidé que le prix du mètre carré à Vincennes serait le même que celui pratiqué par GEEP dans les années 60 pour les collèges et les lycées.

 

GEEP a été payé dans les délais prévus. Par contre, le budget de fonctionnement est arrivé avec beaucoup de retard, après la rentrée de janvier et sous la  pression des étudiants. C’est ce que révèle Assia Melamed. Sur ce point, ni Michel Alliot ni Jacques de Chalendar ni Yann Gaillard n’ont de souvenir.

 

Il est certain, par contre que  cette université a été particulièrement bon marché au regard de la qualité des équipements. Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d'abord le type de construction et les matériaux utilisés: tout a été bâti en construction industrialisée particulièrement bon marché à l’époque.

 

Cela s’explique ensuite par les méthodes employées par l’équipe de départ. Traditionnellement, l'Université se fournit dans le catalogue officiel de l'Éducation nationale, celui de l'UGAP. Les fondateurs ont  innové et se sont adressés à des fournisseurs ne figurant pas sur ce catalogue. C’est ainsi que, pour le mobilier,  ils ont, après consultations, fait appel à la société “ Mobilier international”. Le directeur, Théo Schulman, s’est particulièrement bien plié à toutes les exigences; il a notamment accepté que les  négociateurs sautent à pieds joints sur les sièges en plastique, avec ou sans tablette, et sur les fauteuils pour en vérifier la solidité....!

 

Pierre Dommergues, Bernard Cassen et consorts ont obtenu des marchés à très bas coût; ils ont "cassé les prix". Bernard Cassen se souvient que tout étant fait par des amateurs, les marchés étaient lancés sans appel d’offre et les contacts avec les fournisseurs établis hors des traditions et des règles administratives. Michel Royer en témoigne: les membres de l’équipe ont innové notamment dans la méthode de mise en concurrence des fournisseurs: ils organisaient des confrontations de fournisseurs. L'équipement en matériel audiovisuel de l’université en est un bon exemple. Celui de Vincennes a été particulièrement important par rapport à celui des universités de l’époque qui n’avaient pas du tout l’habitude de se doter de tels équipements. Les premiers enseignants ont donc organisé une rencontre entre Philips et Thomson en présence d’un excellent réalisateur de télévision, spécialiste de films de montagne et du Tour de France, Jacques Ertaud, qui a rendu son “verdict”. Et c’est Thomson qui a emporté le marché.

 

Ils ont aussi organisé, dans le même esprit, des confrontations de fournisseurs pour l’équipement des laboratoires de langues et le marché a été remporté par OPELEM, fournisseur des laboratoires de langue de l’Armée.

 

Tous les moyens étaient bons pour casser les prix, par exemple ce message lancé aux fournisseurs: Vincennes serait une vitrine; d’autres universités se fourniraient ensuite chez eux et il leur était donc avantageux de pratiquer des prix d’appel alors que le matériel était en général choisi dans les gammes de qualité “supérieure”. Il est difficile de savoir si les entreprises retenues ont, par la suite, retrouvé le bénéfice de ces sacrifices.


 

2)  La construction de Vincennes

  

 Le témoignage de Paul Chaslin est irremplaçable: j'ai transcrit presqu'à l’état brut, en le réorganisant pour en faciliter la compréhension, ce qu'il m'a confié au cours de longs entretiens dont cette rédaction traduit bien mal la chaleureuse confiance. Ses souvenirs m'ont été confirmés et souvent précisés par Claude-Marie Vadrot; journaliste à l'Aurore, il suit la construction de Vincennes avec passion; après avoir rencontré l'architecte, Mr Delanoë, à la fin août, il fera plusieurs articles jusqu'en janvier.  Il  a été tellement séduit par ce projet qu'il s'est inscrit à la faculté expérimentale dès la rentrée de janvier 1969 et s'est tellement bien intégré qu'il jouera parfois, par la suite, le rôle d'intermédiaire entre le ministère et les étudiants; c'est à lui qu'Edgar Faure donnera sa principale interview au printemps 1969. Ses souvenirs et sa documentation constituent une source précieuse pour cet aspect de la création de Vincennes.

 

 

 

L’entrefilet du “Monde” et les premiers contacts

 

       C'est, d’après quelques recoupements, le 17 juillet 1968 que Paul Chaslin lit, dans le journal “Le Monde”, un petit entrefilet en italique qui dit en substance: “Le Ministère de l'Éducation Nationale s’attend à (12.000) étudiants supplémentaires pour la rentrée. Le Ministère se demande où il va les accueillir. Il cherche des solutions de baraquements provisoires.”

 

   Le lendemain, donc le 18 juillet, il téléphone d’un café en face, à Gérald Antoine au Ministère et obtient de le rencontrer immédiatement. Il le connaissait pour avoir construit un lycée à Gien, deux ans auparavant;  Gérald Antoine était alors recteur de l'académie d'Orléans dont dépend Gien. Ils avaient sympathisé et avaient préparé tous les deux le colloque d’Amiens de 1967-68.


 

Paul Chaslin: _ “Vous avez prévu des miradors? Les futurs étudiants sont sur la côte d’Azur mais, pour leur installation, il faut prévoir des miradors.”

Gérald Antoine: _ “Que voulez-vous que nous fassions? Je n’ai aucune promesse de la Direction des Équipements pour avoir des bâtiments provisoires avant janvier. Dans ce délai, on ne peut délivrer que des bâtiments provisoires.”

Paul Chaslin: _ “Combien vous en faut il?”

Gérald Antoine: _ “5000 m2”.

Paul Chaslin: _ “Je vous les fais en définitifs.”

 

   A ce moment-là, le recteur Antoine va consulter dans le bureau voisin le principal conseiller d’Edgar Faure, le directeur du Crédit Foncier, Robert Blot. Ils reviennent ensemble.

 

Paul Chaslin: -“ Oui, oui, je m’engage sans problème pour 5000 m2

Robert Blot: -“Vous savez, nous n’avons pas envie que le Président “se casse la gueule”(ils appellent toujours Edgar Faure “le Président”).”

Paul Chaslin: -“Moi non plus et je fais une proposition sérieuse.”

 

Le lendemain, Paul Chaslin est convoqué à nouveau au Ministère, à la DESSU4 , par son directeur M. Reynaud. Paul Chaslin le connaissait déjà très bien; depuis une dizaine d’années, il avait construit pour lui différents lycées et collèges. M. Reynaud commence par piquer une colère; il est absolument impossible de construire une telle surface pour la rentrée et dans des prix raisonnables. Paul Chaslin continue à affirmer que c’est possible. En fait, Reynaud avait déjà consulté des constructeurs français et tous lui avaient répondu que c'était impossible à faire dans les prix et dans les délais impartis; c’est ce qu’il avait répété à Edgar Faure et on ose lui affirmer que c’est possible! Paul Chaslin réussira Vincennes et croit aujourd'hui que l’Administration ne le lui a pas pardonné jusqu'à se détourner de lui l'obligeant à s’orienter vers des clients privés.

 

Un peu pour lui “mettre des bâtons dans les roues”, Reynaud lui demande s’il a pensé aux amphithéâtres. Paul Chaslin réfléchit que pour les construire, il lui faut des structures d’atelier très larges; or, il ne sait pas si certaines sont disponibles à ce moment-là. Il demande donc s’il peut téléphoner pour se renseigner. Reynaud l’invite pour cela à passer dans le bureau d’à-côté, celui de sa secrétaire. C’est là que Paul Chaslin découvre, sur la table, des grandes feuilles sur lesquelles sont notés les noms de tous les constructeurs français, sauf le sien, avec les propositions de prix au m2 et les délais possibles. Personne ne remettait rien avant janvier. Tous les prix sont le double de ceux pratiqués habituellement. On a donc contacté tout le monde sauf lui; et personne n’est capable de rendre dans les délais et à prix raisonnable. On lui annonce qu’une large structure d’atelier est disponible. Il en informe Reynaud et lui confirme qu’il peut construire ces 5000 m2 pour la rentrée universitaire. Et voilà  Paul Chaslin entré dans le projet de Vincennes .

 

 

 

Paul Chaslin et le GEEP 5

 

Paul Chaslin, formé par le scoutisme, participe à une organisation de loisirs dirigés, fait une taupe, s’engage dans la Résistance en 1941; en 1943, après six mois de prison en Espagne, il s’engage en Afrique du Nord dans l’armée Giraud puis dans la 2ème D B de de Gaulle. Il est pacifiste et internationaliste. Il est parachutiste et s’occupe de la formation des jeunes FFI. Il continue ses études en 1945, fait une école d’ingénieurs des Travaux publics. A Donzère-Mondragon, ingénieur, il se charge du Comité d’entreprise d’un groupe important: 12000 travailleurs dans 7 cités provisoires. Il a 24 ans. Après plusieurs péripéties dans sa vie professionnelle, en 1958, il milite dans la Nouvelle Gauche, composante du PSU. Il se lance dans la politique à Saint-Brieuc.

 

Il fonde GEEP où il se révèle être à la fois un chef d’entreprise, avec les contraintes que cela implique, et un “gauchiste”, partisan de l’autogestion qu'il essaiera d’introduire en 1968 dans son entreprise. Malgré tout, Paul Chaslin se déclare gaulliste. Ce double aspect du personnage ne sera pas toujours compris.

 

Le 19 mai 1959, Paul Chaslin crée donc GEEP qui, durant les années 60, va construire essentiellement pour l'Éducation Nationale, des collèges et des lycées. A l'époque, s'opposaient les partisans de la construction industrialisée, dont GEEP, et ceux des constructions en béton, largement dominants. Mais, en construction industrialisée, GEEP pouvait construire  plus rapidement et moins cher. De plus Paul Chaslin avait des idées en matière éducative et voulait adapter l’architecture à la pédagogie nouvelle. C’est lui et son entreprise qui, assez vite obtiennent la plupart des marchés de l'Éducation nationale. GEEP devient une énorme société de plusieurs milliers d’employés qui, à la fin des années 60, est la plus importante société de construction industrialisée en Europe. En 1971, GEEP fera faillite, essentiellement en raison du non-paiement de travaux réalisés pour l'État.

 

La construction industrialisée

 

La construction industrialisée se différencie de la construction traditionnelle d’abord par les matériaux utilisés: non pas le béton, mais le métal, surtout l’acier, et le verre; ensuite par le fait que la plupart des éléments sont construits en usine, essentiellement la charpente métallique qu'il ne reste qu'à boulonner sur le chantier. Il est alors possible de réaliser précocement la couverture ce qui permet de continuer à bâtir à l'abri. La construction en béton part du sol et il faut, à chaque étage attendre que le béton soit sec pour continuer. GEEP, ce qui le rend particulièrement performant, améliore ce mode de construction en intégrant trois activités en général séparées : les études préparatoires, la fabrication de certains éléments en usine et la mise en oeuvre sur le chantier.

 

Vincennes a été construit, pour tout ce qui concerne les poutres et charpentes, en acier, certains éléments en aluminium et les cloisons, en briques.


Les différents intervenants du projet

Personnes et services avec qui P. Chaslin est en contact durant l'année 1968 pour la construction de V. et qu'il voit très fréquemment.

Service           personne                                  fonction

                                                               Delanoë       architecte6

 

Ministère

                      

Cabinet         J de Chalendar                         Chargé de mission pour la                                                        construction

                       Yann Gaillard                            Responsable des finances

 

 Secrétariat d'État

à l'enseignement

supérieur        M Trorial                                   Secrétaire d'état (pas de contact                                               direct)

                       Marcel Burlot                             Directeur de cabinet     

 

Enseignants     Pierre Dommergues

                       Bernard Cassen

                      

Rectorat          Claude Chalin                           Vice recteur de l'Université de                                       Paris

                       Bernard Gauthier                       Secrétaire général chargé du                                                    plan

DESSU 7          M Reynaud                               Directeur

                       M Bruyère                                Adjoint du Directeur

                       Mr Boulet                                  Ingénieur

S C U P 8         Mr Bouzoud                              Directeur

                       Mr Schmidt                              

Préfecture de Paris                                          Paul Delouvrier à l'époque, Préfet

et de sa région

 

 

 

 

Le surplus d'étudiants

 

Le Ministère considérait, alors que les ministères Fouchet puis Peyrefitte s'en étaient déjà préoccupés, qu'une des causes de la crise de Mai 68 était la surpopulation étudiante dans les universités et particulièrement en Ile de France. Il avait donc établi des estimations du nombre de places d'étudiants à construire pour la rentrée 1968. La première avait été faite par P Delouvrier; P Chaslin la lit dans un entrefilet du "Monde" du 17 juillet: 12.000. En quatre jours,  ce chiffre est doublé (24.000) dans les estimations du Ministère que C Chalin, le Vice recteur, annoncera dans sa conférence de presse du 24 juillet. "Le Monde" du 15-16 septembre 1968 parle de 35.000 places; Michel Alliot m'a cité le chiffre de 50.000. Qui croire? 35.000 places m'apparaît comme le chiffre le plus plausible.

 

Pour Vincennes le Ministère prévoyait 7.500 étudiants; à la fin des années 1970 ils seront 32.000.

 

Les surfaces à construire

 

Au départ du projet, fin juillet, on affirme à P Chaslin que 5.000 m2 sont nécessaires. Quelques jours plus tard on lui annonce que ce n'est plus 5 mais 10.000 m2. Quelques jours plus tard encore, ce n'est plus 10.000 (on s'est aperçu que GEEP est capable de suivre) mais 20.000 m2; et finalement, P Chaslin construira 30.000 m2 pour Vincennes. Non seulement 30.000  m2, mais on lui demandera en plus et il bâtira, et en même temps, dans le même type de construction, 10.000 m2 pour Clignancourt, autant pour Clichy et 10.000 m2 pour Asnières.

 

Les terrains

 

Le 20 juillet, C Chalin téléphone à P Chaslin et lui propose un terrain à Vincennes, boisé et magnifique, dont l'État peut disposer. Mais il faut couper des arbres;  P Chaslin refuse! C'est alors que commence une série de visites de la banlieue est, Clichy, Clignancourt, Asnières; on visite sans arrêt. Le 21 juillet, Antony , le terrain de Vincennes que refuse P Chaslin et Boulogne. A ce moment là, on parle de terrains disponibles à Paris, à Nanterre, à Orsay, à Saint Denis et à Sceaux. Finalement, on discute avec l'Armée  de mise à disposition d'un de ses très grands terrains (appartenant à la Ville de Paris et qu'elle lui loue) dans le Bois de Vincennes; P Chaslin le visite le 2 août en compagnie de Marcel Burlot et de Mr Schmidt. C'est le "bon" terrain; P Chaslin donne son accord. Ce qui confirme cette chronologie c'est que le 30 juillet, les collaborateurs de P Chaslin vont voir le service constructeur à propos du terrain de Vincennes et que, le 1° août, ils en obtiennent le plan des militaires. Le 13 août, C Chalin et P Chaslin visitent à 7h30 Clignancourt, à 8h30 Clichy, à 9h30 Asnières et à 11h, à nouveau Vincennes. Le 9 août, le Ministère arrête officiellement le choix du terrain de Vincennes pour le futur centre universitaire. Cette chronologie est relativement sujette à caution car ces détails sont un peu flous dans la mémoire de P Chaslin, principal informateur sur cette période où les événements se bousculent.

 

La construction

 

Le 2 août, on réalise les premières esquisses du plan masse.

 

 " En ce qui me concerne, dit P Chaslin, j'ai fait le plan masse de Vincennes et j'ai inventé, mais par la suite, ce n'était pas prévu au départ, le bâtiment d'accueil, tout à fait nouveau pour une université puisqu'il comportait une crèche; j'ai aussi inventé les bassins."

 

 Quelques remarques qui concernent l'ensemble de l'opération construction sont nécessaires pour en apprécier le caractère exceptionnel fortement ressenti par les acteurs de l'époque.

 

Le programme proposé par le Ministère a changé sans cesse; il imposait des  impératifs, tant de places d'étudiants, tant de places de cantine mais n'a jamais donné de directives précises. D'autre part, l'équipe pédagogique à l'initiative du projet , Dommergues, Cixous et Cassen, apportait chaque semaine des idées nouvelles qui imposaient des aménagements nouveaux.

 

Tout s'est déroulé dans la fièvre, dans une ambiance survoltée; pendant trois mois les ouvriers ont travaillé jour et nuit.

 

De surcroît, le temps est resté déplorable pendant la durée du  chantier. "Je ne comprends pas comment nous y sommes arrivés; ce fut un tour de force".

 

Le 6 août, premier événement: la Conservation du Bois de Vincennes (de sa propre initiative?) interdit l'accès du bois aux engins. Il faudra 10 jours de négociations pour lever cette interdiction.

 

Le premier travail a été de démolir les hangars, presque jointifs que, pendant un siècle, les militaires avaient bétonnés et dallés :  du 16 août ,donc, au 21.

 

Le démarrage

 

La date du premier coup de pioche est sujette à caution:  P Chaslin donne le 21, "France Soir", le 16; le 21 me semble plus probable.

 

Le 7 septembre le sous-sol de la cuisine est creusé; le 9, P Chaslin ayant refait les plans du bâtiment d'accueil, les remet au Ministère; le 14, J de Chalendar visite le chantier et le 18 démarrent les travaux du bâtiment d'accueil.

 

La décoration nécessite une réunion au Ministère, rue de Grenelle. La loi impose en effet aux constructeurs de consacrer 1% de la totalité du budget aux éléments décoratifs (fresque, statue...).  P Chaslin propose de les confier à ses propres artistes, une équipe de spécialistes; J de Chalendar préfère les demander aux étudiants des Beaux-Arts, et c'est sa proposition qui l'emporte; mais ils n'auront jamais la disponibilité nécessaire pour les réaliser.

 

Le Centre universitaire comprendra plusieurs éléments :

 

-un bâtiment d'accueil comportant en étage, une crèche, avec jardin;

-cinq amphithéâtres, un de 500 places, trois de 250 et un de 170;

-deux restaurants universitaires; finalement, l'année suivante, l'un d'eux sera transformé en bibliothèque car les étudiants prendront l'habitude de manger sur le campus chez les vendeurs à la sauvette, sur les étals ambulants...La bibliothèque initiale sera alors transformée en amphithéâtre.

- trois bâtiments d'enseignement sur deux niveaux comprenant des salles de travaux dirigés de 30 à 100 places;

-un bâtiment d'administration;

-une cafétéria.

 

Il était prévu de construire une poste, une librairie et une banque, abandonnées sous la pression des étudiants gauchistes qui refusaient toute manifestation du capitalisme. Les bassins, sont donc une idée de P Chaslin dont il se dit particulièrement content.

 

L'équipement

 

L'équipement de Vincennes a été conçu dès le départ comme témoin de la modernité: audiovisuel, informatique et laboratoire de langues. Aucune université française n'avait jamais été aussi bien dotée en laboratoires de langues ce qui témoigne de la participation des enseignants des départements d'Études anglaises et d'Anglo-américain au projet. Toutes les salles de Vincennes étaient reliées à un réseau de télévision intérieure; à partir d'un studio central, la même émission pouvait être distribuée dans toutes les salles: GEEP avait déjà réalisé un collège audiovisuel à Marly-le Roy, en 1965, et d'après Paul Chaslin, l'a reproduit à Vincennes à plus grande échelle; cette information semble contredire les souvenirs de Michel Royer (cf. II C 1, L'intendance) sur le rôle de Thomson dans l'équipement audiovisuel. Le studio d'enregistrement a fait des jaloux dans d'autres universités. L'équipement en informatique a, pour l'époque, été considérable: c'était la première fois qu'une université était dotée à ce point d'ordinateurs.

 

Toutes les salles de Vincennes ont été livrées, les meubles choisis par l'équipe initiale installés; tous les espaces ont été plantés d'arbres. Un an après, GEEP a rajouté une école maternelle et intégré à l'ensemble certains hangars que l'Armée a laissés à l'université.

 

Fin des travaux

 

Elle intervient entre le 15 et le 20 novembre 1968, sans que j'ai pu déterminer la date exacte. Une semi inauguration devait avoir lieu fin novembre, à Vincennes, en présence d'Edgar Faure. Étaient présents R Las Vergnas, P Chaslin, A Peyrefitte et Jérôme Seïté, futur administrateur de Vincennes et mari de Alice Saunier-Seïté qui fera raser l'université 12 ans après; ils ont attendu le Ministre pendant deux heures; en vain. P Chaslin ne se souvient pas du motif invoqué pour excuser cette absence remarquée mais, de son point de vue, il ne faut pas l'interpréter comme un désaveu; il a donc remis les clefs de Vincennes à l'administrateur.

 

P Chaslin est fier d'avoir, sans conteste et pour la première fois dans l'histoire, tenu le pari de construire 30.000 m2 en trois mois. En effet, ce délai inclut non seulement la construction mais aussi l'étude du projet depuis sa toute première idée; de tels ensembles demandent habituellement plusieurs mois et plutôt plusieurs années; les médias de l'époque ne se sont pas fait faute de le remarquer.


 

3)  L’administration

 

Globalement, sur ce sujet, j’ai obtenu peu d’informations. Je me base pour l’essentiel sur le témoignage de Jean Gattégno complété par le récit d'Assia Melamed et sa thèse, ces deux témoignages recoupés par les informations du Monde et  du Nouvel Observateur. Assia Melamed affirme, comme déjà dit,  que les moyens permettant à l’administration de Vincennes de fonctionner sont arrivés en retard, après janvier 1969, sous la pression étudiante; je n’ai pu obtenir confirmation de ce point.

 

Le personnel

 

De façon générale, on peut dire que les moyens en personnel ont été insuffisants et que le recrutement du personnel administratif a été assez improvisé dans un premier temps; on a souvent recruté des non professionnels. Dans un deuxième temps, à partir de la rentrée de janvier 1969, quatre professionnels de l’administration ont été détachés à Vincennes; deux venaient de la Sorbonne, les deux autres du Ministère.

 

Monsieur Serafino, agent de bureau à la Sorbonne est devenu responsable du Service général; il a été l'un de ceux qui ont le plus contribué à la mise en place de l’administration de Vincennes. Par la suite, certains l’ont considéré comme particulièrement efficace, voire héroïque dans les conflits postérieurs; il est décédé avant le transfert de l’Université Paris VIII à St Denis. Une attachée du ministère Antoinette... a monté le service du personnel; elle est devenue par la suite enseignante en droit ; elle est retraitée depuis 1990. Après janvier, Vincennes recrutera des vacataires, essentiellement des étudiants.

 

Le Monde évoque l'existence d'une commission permanente d'information et d'orientation chargée d'étudier la question des débouchés. A ma connaissance, elle n'existe pas par la suite.

 

Les inscriptions

 

Les inscriptions ont démarré le 2 octobre 1968. D’après Le Monde du 2 octobre elles étaient réservées aux parisiens et aux étudiants ayant fait leurs études en Ile de France. En fait, aucun témoin ne m’a parlé de cette condition et je crois pouvoir affirmer que les étudiants venus d’ailleurs ont toujours pu s’inscrire à Vincennes. Le personnel administratif n’a vraisemblablement pas tenu compte de cette restriction à moins que, devant le trop petit nombre d’inscrits de la première heure, ils n’aient imposé aucune limitation géographique aux inscriptions.

 

Les inscriptions ont été ouvertes aux non bacheliers de plus de 21 ans; la condition ” salarié” qui apparaîtra au printemps 1969, reste pour la période antérieure parfaitement mystérieuse; je n’ai retrouvé aucune trace officielle ou officieuse qui la réclame pour l’inscription. Il en va de même pour l’examen probatoire (ESEU: examen spécial d’entrée à l’Université) que réclamaient les autres universités et dont la Commission était présidée par Las Vergnas: il ne sera jamais exigé dans la suite de l’histoire de Vincennes.

 

Jean Gattégno fut désigné comme le responsable de l’inscription des étudiants et des problèmes administratifs. Ce qui suit est essentiellement issu de son témoignage. Il s’est formé pour ce poste auquel il ne connaissait rien auprès de la Secrétaire générale de Censier, Mlle Bonnefoy. Il ne se rappelle plus si deux employés l’ont aidé dans cette tâche. Il choisit pour l'aider dans son travail une équipe d’une douzaine de membres étudiants, dont six Tunisiens (Jean Gattégno revenait de Tunisie). Pour l’anecdote, Vincennes comporta par la suite une communauté de Tunisiens.

 

Les inscriptions eurent lieu à Censier de mi octobre à mi décembre. Jean Gattégno n’y était soumis à l’autorité de personne. A partir de la mi décembre les inscriptions auront lieu à Vincennes; il se retrouvera là soumis à l’autorité administrative.

 

Un jour, des tampons de l’Université servant à l’inscription  furent volés. Jean Gattégno se refusa à dénoncer les acteurs du forfait.

 

Vincennes ouvre ses portes aux étudiants le 10 décembre.  Jean Gattégno y assure les inscriptions tandis que Michel Royer s'installe avec une étudiante, future vacataire de la bibliothèque, à l'extrémité du bâtiment administratif où il accueille et oriente les nouveaux arrivés.

 

Une démarche est entreprise auprès du Maire de Vincennes pour obtenir que certains des étudiants de la nouvelle université soient logés par les habitants de Vincennes.

 

La course aux inscrits

 

La question essentielle qui préoccupe les Vincennois en cette période de fin 1968 est celle du nombre des étudiants inscrits. L’Université a été prévue pour accueillir 7.500 étudiants. En octobre-novembre ce nombre est très loin d’être atteint. La date limite pour déposer son dossier d’inscription, fixée initialement au 8 novembre, est repoussée. L’équipe enseignante, et particulièrement Pierre Dommergues, se démène pour susciter la mobilisation des étudiants; Tonka va jusqu’à faire publier dans le journal Action un contre-article sur Vincennes qui présente l’Université nouvelle comme une vitrine récupérée par le pouvoir dans l'espoir de provoquer l'effet inverse, des inscriptions. Avant les vacances de Noël on ne dénombre encore que 2.000 inscrits. Devant cette situation le Ministère envisage de diviser par deux le nombre de postes d’enseignants: de 240, il passera à 120.  L’équipe initiale se mobilise alors. Une campagne publicitaire sans précédent est organisée pendant les vacances de Noël à travers différents médias. Une permanence est mise en place à Inter-Service Jeunes, émission de France-Inter, qui fournit des informations sur l’Université de Vincennes et lance un appel aux inscriptions (on peut appeler un numéro de téléphone). Les inscriptions se font à nouveau à Censier qui reste ouvert à cette occasion pendant les vacances. Cette campagne a porté ses fruits puisque plus de 2.000 étudiants supplémentaires s’inscrivent entre le 20 décembre et le 6 janvier. Le 3 janvier 4.160 étudiants sont inscrits; le 8, 5.000. Il y aura à peu près 7.500 inscrits à la fin janvier. Une note de l’administration fait état de 7.904 étudiants inscrits au 27 février 1969 dont 5.789 en premier cycle, 1.781 en licence, 231 en maîtrise, soit 7.801 étudiants pour les 1° et 2° cycle et 103 étudiants en 3° cycle. L’ouvrage collectif “Vincennes ou le désir d’apprendre” fait état de 7.791 étudiants pour l’année 1968-1969. Bref, les Vincennois sont arrivés à leurs  fins. Le Comité des dix décide le 20 janvier de clôturer les inscriptions. Craignait-il d’être débordé? Cet arrêt provoque en tous cas la démission de Jean Gattégno non consulté pour cette décision. C’est la seule fois, à ma connaissance, dans l’histoire de Vincennes que les inscriptions seront arrêtées. Le Ministère rétablit les postes d’enseignants à hauteur de 240.

 


 

 

 

L' ÉLABORATION DE LA PÉDAGOGIE

(Eté-automne 1968)

 


 

 

 

 

 

Ce qui va se vivre à l’université de Vincennes à partir de Janvier 1969 est radicalement différent de ce qui se vivait jusque là dans n’importe quelle université française; et c’est aussi une rupture avec ce qui va se vivre dans les autres établissements universitaires à partir de ce moment là. Non que les grands principes de base de la pédagogie vincennoise n’aient rien à voir avec ceux des autres universités, ce sont,  au contraire, exactement ceux prônés par la loi d’orientation, mais ce sont les enseignants et étudiants qui, en les mettant en oeuvre à leur manière, feront de Vincennes ce qu'elle a été.

 

 

Ce disant, je  tiens  à ne pas minimiser l’originalité du travail des concepteurs de Vincennes mais bien plutôt à souligner qu'ils ont marché de concert avec les concepteurs du Cabinet, que les uns comme  les autres ont nourri leur inspiration au même sein, “l’air du temps”; et qu'ils se sont essentiellement comportés en accoucheurs, en interprètes d’une utopie qu'ils ont traduit en mots intelligibles et en gestes réalisables.  D’une manière générale, l'université de Vincennes a mis en pratique ces principes pédagogiques bien plus radicalement que les autres et bien  plus tôt , en général un an avant. En cela, elle a été non seulement pionnier mais surtout  terrain d’expérimentation. A l'extrême, certaines des idées qui y ont été expérimentées n'ont reçu quasiment aucune concrétisation dans le reste du système universitaire français.

 

 

Aussi me parait-il essentiel de proposer la liste des particularités caractéristiques de ce qu’on peut appeler la pédagogie vincennoise. J’en ai peut-être oublié. A ma connaissance, mais je n'ai pas étudié particulièrement cet aspect, toutes étaient conçues au moment de la rentrée de janvier 1969. Une telle affirmation est, il faut le redire, trop brutale dans la mesure où elle nie la “vie” de l’université, nie le fait que la pédagogie vincennoise est née aussi de la réalité de Vincennes à laquelle s’est confronté cet ensemble théorique; nie ce que vont apporter les étudiants.

 

 

 

 

 

INTERDISCIPLINARITÉ

 

 

1)  Le système des Unités de Valeur

 

Le système des Unités de valeur a été introduit dans l’université par des  enseignants, essentiellement anglicistes, qui avaient une bonne connaissance du système américain (voire qui avaient enseigné aux États Unis); l’historien Jean-Baptiste Duroselle  m’a dit avoir inventé l' UV dans son jardin du Chesnay au cours de discussions avec ses amis et collègues, peut être aussi avec Pierre Dommergues, Hélène Cixous et Sylvère Monod.

 

L’unité de valeur est l'équivalent du “credit unit “ américain.  C’est une parcelle du savoir bien plus réduite que l'ancien certificat de l'Université française qui était lourd.  Une UV correspond à trois heures hebdomadaires d'enseignement;  elle est aussi plus réduite dans le calendrier, semestrielle et non annuelle. Une fois obtenu, c’est un élément que l’on ne peut pas perdre (on pourra même interrompre ses études et garder cet acquis) et que l’on capitalise avec d’autres  à obtenir  ou déjà obtenues pour la validation d’un diplôme.

 

2)  Notation continue et nouveaux diplômes

 

Une des antiennes des commissions de la Sorbonne de Mai 68 réclamait la suppression de l’examen terminal:  le contrôle annuel était  vécu comme un couperet: faillir aux deux sessions supprimait  toute possibilité de rachat; il fallait refaire une année.

 

Désormais, toute l’année sera jalonnée de notes obtenues par des moyens différents: contrôle, interrogation, dossier à rendre, exposé, examen oral, compte rendu de document ou de visite, travail de terrain, publication de recherche....  Chacun de ces travaux peut être individuel ou collectif.  C’est l’ensemble de ces notes additionnées qui apprécie, sur l’année, la qualité des acquits de l'étudiant. On appelle ce système notation continue ou contrôle continu.

 

Vincennes a créé de nouveaux diplômes. Celui qui sanctionnait les deux premières années, le premier cycle, a été supprimé. Le premier diplôme qu’on pouvait désormais obtenir était, au bout de trois ans, la licence; en fait, une licence: soit licence libre, propre à Vincennes, soit licence d’enseignement qui, seule,  permettait de passer les concours de recrutement pour l’enseignement (secondaire public).

 

3)  Interdisciplinarité

 

C’est un des objectifs majeurs des premiers Vincennois, un des deux ou trois auxquels ils étaient les plus attachés. Pour eux, dans l'enseignement,  interdisciplinarité n'est pas seulement pluridisciplinarité, elle est plus exigeante. La pluridisciplinarité comprend plusieurs champs du savoir, l’interdisciplinarité  implique qu’il y ait interaction entre les différentes disciplines. Cette interdisciplinarité  est rendue possible par l’existence des UV : parcelle du savoir plus réduite que l’ancien certificat elle ne peut se suffire à elle même;  plus maniable, elle nécessite qu'on l'associe à  d’autres UV. On ne prépare plus un diplôme de licence d’une seule spécialité, mais de deux (au moins):  la dominante comprend 16 UV et la sous-dominante 14, à l’intérieur desquelles plusieurs UV libres appartenant à d’autres champs disciplinaires peuvent être choisies:  au total 30 UV.

L’interdisciplinarité se heurtera à l’existence très contraignante des  départements. Les enseignants reprendront vite leurs habitudes, se regroupant par discipline et auront du mal à s'ouvrir à d’autres disciplines. Les étudiants, par contre feront souvent des choix qui réaliseront une formation réellement interdisciplinaire; ils apporteront, de la sorte, dans leurs UV des points de vue novateurs issus des enseignements des autres UV.

 

4)  Enseignement comme recherche

 

Je n'ai pas pu déterminer si cette méthode tout à fait nouvelle dans la mentalité universitaire française a été instituée noir sur blanc dès l’origine de Vincennes ou si elle s'est mis en place petit à petit et subrepticement. Elle consiste à associer enseignants et  étudiants d’une même UV ( toutes les UV n'ont pas accepté cette démarche) pour, sur un projet choisi en commun en début d'année, préparer une ou plusieurs publication; les Vincennois considéraient comme un moyen pédagogique en soi de réaliser une ou plusieurs publications de recherche, fruit du travail collectif. Cette pratique  se révélera, en tous cas,  très motivante pour tout le monde, étudiants et enseignants.


 

RAPPORTS ÉTUDIANTS ENSEIGNANTS

 

 

 

 1)  Nouveaux rapports étudiant enseignant et dé hiérarchisation

 

La dé hiérarchisation jaillit  très spontanément de la communication tous azimuts de Mai: les rapports étudiants enseignants sont bouleversés, au grand dam de certains. Le tutoiement est de règle et celui qui ne le pratique pas est suspect. Les enseignants aimeraient bannir le concept de mandarin.  Tout le monde cherche à être sur un pied d’égalité avec le voisin. L'ambiance particulière dans laquelle baigne cette égalisation euphorique est cependant à double face: très conviviale, elle offre à quiconque le droit de s'exprimer, âprement défendu, ce qui lui donne l’impression de baigner dans le monde à part d’une grande camaraderie; et en même temps, la politisation de la vie universitaire est telle que les opinions exacerbées s’opposent farouchement, aboutissant à l'effet contraire. Il arrivera souvent, en cette première année, que des enseignants subissent des agressions verbales voire physiques.  

 

Les enseignants, dans les différentes instances qui les concernent ne tiennent compte ni dans la concertation ni dans la prise de décision du rang professoral. La parole du premier enseignant n’est, en soi, pas plus fiable que celle de quiconque. Le droit à la contestation est incontesté (il est interdit d'interdire); v sera une remarquable école individuelle et collective où apprendre à réfléchir, à argumenter et à prendre la parole.

 

2)  Cogestion

 

La cogestion, désirée à l’automne 1968 par les étudiants et les enseignants, était inscrite dans la loi d’orientation. Elle trouvera, à Vincennes, son terrain d'application à tous les niveaux, dans les UV pour le choix des programmes et des méthodes, dans les départements et dans les instances dirigeantes de la fac pour tout ce qui concerne la gestion, instances informelles jusqu’en juin 1969 où elles deviendront Conseil d’Université. A tous ces niveaux, en général, la représentation  des étudiants équivaut à celle des enseignants et leurs voix pèsent le même poids. Dans plusieurs d'entre elles les personnels ATOS9 prend sa place dans les commissions paritaires. A partir du moment ou le Conseil  d’Université sera en place il sera, en général, présidé par un enseignant et les deux présidents adjoints seront un étudiant et un enseignant.

 

3)  Suppression du cours magistral

 

La suppression du cours magistral était l'une des revendications majeures des commissions de mai 1968. A Vincennes  certains ont  tenté de la mettre en place tant bien que mal mais, en fait, toutes les situations ont existé: certains enseignants ont continué à faire des cours ex cathedra mais, peu nombreux, ils ont été contestés et ont dû s’adapter;  d’autres enseignements ont pris toute l’année la forme de discussions entre enseignants et étudiants  dont certains préparaient un doctorat et d'autres avaient à peine le niveau du BEPC; des autres formes nouvelles d'enseignement ainsi produites par la suppression du cours magistral,  l’exposé oral, par un ou plusieurs étudiants, a sans doute été l'une des plus fécondes.

 

4)  Petits groupes de travail

 

Les grands amphis ne permettaient aucune autre forme d'enseignement  que le cours magistral; il exaspérait les enseignants autant que les étudiants. A la suite de mai 1968, les uns comme les autres ont réclamé à corps et à cri  sa suppression pour établir une relation plus humaine entre enseignants et étudiants et la possibilité pour l’enseignant de s’intéresser de plus près aux cas individuels. Parallèlement apparaissait un attrait général pour le travail de recherche. La bonne solution était de pratiquer les enseignements en petits groupes de travail, pas plus de 25 étudiants, dans des salles de taille adaptée. Les bâtiments de Vincennes tels que les avaient conçus et réalisés GEEP prenaient en compte cette dimension pédagogique essentielle; son succès en mettra le principe bien à mal: le nombre d’étudiants inscrits, très supérieur à la capacité d’accueil des locaux, compromettra sa mise en pratique; les groupes de travail enfleront jusqu'à la caricature.


 

OUVERTURE

 

 

1)  Ouverture aux non bacheliers salariés 10

 

Ce principe était annoncé dans l’article 23 de la loi d’orientation du 12 novembre 1968: “Après avoir reconnu leur aptitude, les Universités organisent l’accueil de candidats déjà engagés dans la vie professionnelle qu’ils possèdent ou non des titres universitaires (...) ”. C’est, comme déjà dit, des  grands principes de base de Vincennes celui qui établira le plus son originalité. Faire des cours le soir et pendant l’été pour les étudiants salariés était une pratique que les fondateurs anglicistes avaient trouvé aux États-Unis. Mais là-bas, selon toute apparence, aucune idéologie ne sous-tendait cette pratique. Les enseignants français, au contraire, ont repris cette possibilité pour ouvrir l’université aux salariés d'abord, mais surtout à ceux qui n’y avaient pas  accès jusque là sans passer l’examen spécial d’entrée (ESEU), à savoir les salariés non bacheliers. Le seul texte postérieur à celui de la loi d’orientation que j’ai retrouvé qui fixe le sort des non bacheliers est l’arrêté ministériel du 16 juin 1969, article 1°: “Les étudiants non bacheliers inscrits au cours de l’année 1968-1969 au CUEVII , engagés dans la vie professionnelle et dont l’aptitude à entreprendre des études supérieures a été reconnue au Centre au moyen de tests et ayant acquis deux UV seront dispensés du baccalauréat pour continuer à postuler (... et) pour la poursuite de leurs études, auront les mêmes droits et le même statut que s’ils étaient bacheliers (...)”. Entre ces deux documents, le statut des non bacheliers, qu'aucun texte ne précisait, n'était ni clair ni reconnu.

 

Deux choix, largement imposés au départ par l’action des militants ont été déterminants; le premier, d’adopter des horaires compatibles avec les horaires de travail (près de la moitié des enseignements auront lieu le soir); le deuxième de ne pas créer des enseignements spéciaux, donc séparés, pour les salariés mais de faire travailler ensemble étudiants “ordinaires” et travailleurs venant étudier. Il est intéressant de noter que ce principe a créé un profitable mélange des genres: salariés/non salariés, étudiant à niveau d'instruction  très modeste (parfois inférieur au BEPC) / étudiants à niveau d’étude élevé (doctorat). En 1971, la règle sera: les non bacheliers doivent, pour s’inscrire avoir soit plus de 24 ans, soit plus de 20 ans et deux années d’activité professionnelle; s’ils remplissent ces conditions, ils passent un test dans le département qu’ils choisissent en dominante, test qui, pour l’essentiel, est un entretien individuel d’accueil et d’orientation; une fois inscrits, ils sont étudiants à part entière et les diplômes qu’ils obtiennent sont ceux-là mêmes qu’obtiennent les étudiants bacheliers.

 

  2)  Année continue et journée continue

 

L’année continue et la journée continue forment avec le contrôle continu ce que les fondateurs de Vincennes ont appelé les 3 continuités.

 

L’année continue, cela signifie une université ouverte toute l’année, mois d’été compris. L’année ne comprend plus deux semestres mais trois:  le premier d’octobre à février; le deuxième de février à juin et le troisième de juin à octobre, approximativement.

 

Un tel calendrier aurait permis aux étudiants salariés de venir pendant l’été;  permis aux enseignants de faire de la recherche pendant l’été et de mieux faire alterner enseignement et recherche tout au long de l’année. La contrepartie d'avantages si évidents était difficile à faire accepter par un Ministère:  il fallait créer de nombreux postes d’enseignement. Et c’est pour cette raison, essentiellement, que le projet n’a pas abouti. Dans les années qui suivirent, il sera plusieurs fois remis à l’ordre du jour mais avec pareil insuccès.

 

Pour que les salariés puissent venir à la fac, il fallait que certains enseignements aient lieu à des horaires compatibles avec leurs contraintes. Reprenant le système américain (les cours y sont dispensés de 7 à 24 heure) la journée continue fut instituée (de 8 heure à 24 heure); par la suite, le samedi sera aussi travaillé.  Près de la moitié des enseignements auront lieu le soir après 19 heure ou le samedi.  Par exemple, Michel Foucault enseignait un soir de semaine de 20 à 22 heures et il y avait affluence.

 

3)  Enseignement orienté vers les études contemporaines

 

Dès le début le CUEV a été conçu comme consacré aux études contemporaines. L’histoire ancienne ou médiévale, par exemple, devaient être abordées, non pour elles mêmes mais pour éclairer et mieux comprendre le temps présent. Claude Mossé, historienne de l’Antiquité, a été bien prévenue lorsqu'elle fut recrutée à Vincennes: elle n’aurait qu’un “strapontin” pour l’histoire ancienne.

 

4)  Ouverture à l’ensemble du monde

 

Dès l’origine  l’enseignement de Vincennes devait être plus que partout ailleurs en connexion étroite avec le reste de la planète et oublier la tendance séculaire à l’européocentrisme, au francocentrisme en s’ouvrant largement sur les cultures,  les peuples, les modes de pensée, les langues de cinq continents. Vincennes accueillera effectivement, mais qui s'en doute en 1968, des intervenants étrangers et des étudiants venus des quatre coins de la terre.  Ce brassage de population sera facteur de richesse, d’échanges et de tolérance.


 

5)  Ouverture de l’université à de nouvelles disciplines

 

La première année, 1968-1969, sont enseignés à Vincennes (liste des départements) : Allemand

Anglo-américain

Littérature anglaise

Arabe

Chinois

Espagnol

Italien

Russe

Portugais

 

Cinéma

Théâtre

Arts plastiques

Musique

 

Urbanisme

Géographie

Histoire

Philosophie

Psychanalyse

Psychologie

Sociologie

 

Économie politique

Science et théorie politique

Science de l’éducation

Droit

 

Informatique

Mathématiques

 

Français

Linguistique

 

 

 

Cette liste des départements diffère de l'une à l'autre des trois sources documentaires disponibles:  liste exhaustive des UV extraite des archives de Vincennes et deux fiches de statistiques d’inscriptions extraites de la documentation d’Assia Melamed. Celle-ci, résultante des trois, me parait la plus vraisemblable.

 

L'ouverture de Vincennes donne à certains de ces enseignement, si je ne me trompe, la possibilité d'entrer à l’université pour la première fois: le cinéma, les arts plastiques ( qui étaient restés cantonnés dans des écoles spécialisées, telles les Beaux Arts), l’informatique (c’est la première fois qu’une université fait une ouverture aussi importante vers l’informatique), l’urbanisme, la psychanalyse (qui devient une discipline à part entière indépendante de la psychologie).

 

La linguistique, qui était déjà enseignée en faculté, mérite une mention spéciale; son enseignement est reconnu pour la première fois comme indispensable, notamment en raison de ses relations  avec la littérature, les langues et les mathématiques.

 

Cette liste comprend deux départements pour une seule langue: pour la première fois les spécificités de l'américain et de l'anglais sont reconnues; due initialement à des considérations de personnes, cette innovation universitaire mérite cependant d'être soulignée, l'appartenance des fondateurs de Vincennes à l'Institut d'anglais n'y étant pas étrangère.

 

Comme déjà vu, deux disciplines reçoivent un équipement en matériel hors du commun: l'informatique et l'audiovisuel.

 

6)  Mise en pratique de la théorie

 

Cette préoccupation des acteurs de Mai 68, le souci de "faire du terrain", d'associer la théorie et la pratique, de se mettre en permanence en situation d'expérimentation concrète, ce que les enseignants traduisent par "vivre le savoir" deviendra, par la suite, une des plus grandes spécificité de Vincennes. Ce n'est au départ qu'un objectif pédagogique un peu abstrait. Ainsi, le département théâtre ne pouvait concevoir d'exister sans qu'il y ait une incessante confrontation entre le discours sur le théâtre et la scène: GEEP a construit une véritable salle de spectacle, avec sièges pour l'auditoire, immense estrade très surélevée, coulisses avec loges pour maquillage.

 

Le département musique de Vincennes veut enseigner la musique en la jouant: la pratique instrumentale y est généralisée. Cet enseignement est résolument  tourné vers la musique contemporaine et les musiques des autres peuples.

 

La géographie, elle, passera beaucoup plus de temps sur le terrain, dans des villages,  avec interviews, études de milieu, etc.... que dans les salles de cours.

 

Le département cinéma dont le matériel audiovisuel était prévu pour être fixe et essentiellement à l'intérieur, le transformera complètement  pour le rendre transportable et maniable; il effectuera, en mode d'enseignement, de très nombreux tournages en extérieur et souvent loin.

 

Quant au département informatique, il démontera très vite les gros ordinateurs dont il avait été pourvu au départ. Les pièces venant de plusieurs ordinateurs seront reassemblés en guise de recherche-enseignement de façon à constituer de nouveaux ordinateurs totalement originaux et uniques en leur genre. Ils auront tellement de succès que les Vincennois en feront commerce et avec les plus grands établissements scientifiques internationaux, plusieurs universités américaines et Italiennes, l'École polytechnique, l'Institut agronomique de Toulouse, des hôpitaux, etc....

 

 

 

 

 

7)  Ouverture aux enseignants associés et étudiants en fin d'études

 

Les créateurs de Vincennes avaient décidé que les détenteurs de titres universitaires ne seraient pas les seuls à pouvoir y enseigner: on ferait appel à des personnes compétentes dans leurs domaines (quel qu'il soit). Plusieurs écrivains étrangers (notamment anglais) ont ainsi fait leur entrée à Vincennes. Ces personnalités étaient désignées sous le vocable d'enseignants associés. Des étudiants en fin d'études, en thèse ou en maîtrise, voire même en licence, reconnus aptes par d'autres enseignants, étaient amenés à enseigner. Pierre Dommergues fut particulièrement favorable à ce type de recrutement.


 

 

 

 

 

 

 

L' APPORT ÉTUDIANT ET LE DEVENIR DE

 

VINCENNES

 

 

 (l’automne 1968 et au-delà)


 

 

L'APPORT ÉTUDIANT

(automne 1968)

 

De tout l'été donc, les étudiants ont été quasiment absents; ils ont très peu participé, apparemment, à la fondation des universités expérimentales, à celle de Vincennes en particulier. Cette constatation m’a beaucoup surpris. Et lorsque j’ai demandé aux  personnes que j’ai interrogées ce qu’il en était, la réponse a été quasi unanime: aucun, d’une part, n’avait de souvenir d’une quelconque action étudiante avant la rentrée de janvier 1969, et d’autre part, il était évident pour tous que la création de Vincennes était le fait du gouvernement et des enseignants et absolument pas celui des étudiants.

 

 Cette ambiguïté mériterait certainement une recherche supplémentaire, approfondie, et notamment auprès de tous les acteurs de la cause étudiante (ce que je n’ai pas eu le temps de faire). Par contre, les témoins tombent presque tous d’accord sur le fait que les étudiants seront très présents et interviendront d’une façon très prégnante à partir du moment où ils seront rentrés à l’université en janvier 1969.

 

Deux témoignages cependant et cinq documents, dont un excellent, vont dans le sens contraire.. Le “Monde” et le "Nouvel Observateur" d'abord, qui mettent en évidence le rôle joué par le journal “Action”. Un tract diffusé par l’Union des étudiants communistes de Vincennes ensuite. Puis deux documents oraux, le témoignage d’Assia Melamed et celui de Michel Royer. Et enfin, document majeur, “Les 21 conditions des étudiants” paru dans “Action” de novembre 1968, que complète un article d'Hubert. Tonka dans un autre numéro d’Action. Ce journal, fondé le 7 mai 1968 avec la participation de l'UNEF et du SNESup, se présente comme, et se veut, le journal de la contestation étudiante.

 

Assia Melamed, d'abord, m’a dit que sans la pression des étudiants très peu de choses auraient été acquises à Vincennes. C’est cette pression de la base qui a permis que cette faculté ne redevienne pas une faculté comme les autres; c’est elle qui a permis l’ouverture aux non bacheliers; c’est encore elle qui a permis que le budget de fonctionnement, non versé à la rentrée de janvier 1969, arrive; c’est elle enfin qui a permis la mise en place, à la même époque, des moyens administratifs.

 

 J’ai posé à d’autres témoins la question: avez vous souvenir d'Assemblées Générales ou des réunions étudiants enseignants avant janvier 1969? La plupart ont répondu par la négative. Assia Melamed m’a affirmé qu’il y en avait eu et elle n'est pas la seule: il se serait tenu et des Assemblées Générales étudiants enseignants et des Assemblées Générales par département. Dès l'automne (mais les A G qui se déroulaient à Vincennes portaient alors sur les modalités et les contenus des enseignements et aussi sur la désignation des enseignants) et essentiellement après janvier, il s’agissait, dit Assia Melamed, de bâtir une université révolutionnaire dont le but avoué était de faire démarrer une Révolution. Vincennes était considéré comme le foyer de base en France, le centre d’où jaillirait l’étincelle qui s’étendrait ailleurs. L’Université (et l’université) doit être au service du peuple et de la Révolution.

 

 Michel Royer, et cela m’a été confirmé (cf. II C 2, La construction), se souvient que lors de l'établissement des projets de Vincennes, il était prévu de construire une librairie, une banque et une poste sous la crèche et que ces trois boutiques ont été abandonnées sous la pression des étudiants gauchistes; opposés à toute forme de capitalisme, ils ont exigé que le campus de Vincennes reste indemne de tels témoins de la société marchande.

 

Un peu plus tard très vraisemblablement, et notamment à l’initiative de Pierre Dommergues ou de ses proches, les étudiants et un certain nombre des membres du noyau de départ se sont entendus pour faire grossir le nombre d’étudiants qui s’inscrivaient à Vincennes. A l’automne 1968 (Cf. le paragraphe II C 3, L'administration) le déficit d'inscription risquait d'entraîner de très fâcheuses conséquences sur l’avenir de cette faculté, notamment sur l’effectif enseignant, sur la nature des enseignements et sur l’ouverture de la fac dont la date serait repoussée. Or on lit dans un numéro d’Action de l’automne 1968 un article surprenant; il dit en substance: “Ne venez pas à Vincennes, c’est une vitrine (ou si vous y allez, allez-y pour casser la fac).....” La démonstration  mettait en évidence que cet endroit était un piège pour décourager les gens de venir. L’initiateur et le promoteur en était Hubert Tonka, enseignant en urbanisme, complice de l’équipe fondatrice, en phase avec les étudiants et qui avait fait écrire cet article dans l’espoir de faire venir des gens à Vincennes par réaction et de grossir ainsi le nombre d’inscrits. Tonka connaissait Michel Royer.

 

Les étudiants communistes publient dans la deuxième quinzaine d’octobre 1968 un tract, signé du Cercle de Vincennes de l’Union de étudiants communistes, qu'ils  distribuent à l’AG des étudiants candidats à Vincennes. Il appelle à une AG qui devrait ratifier les propositions des commissions d’étudiants chargées de préparer les orientations et les structures de l’enseignement supérieur et d’élire des étudiants en nombre égal à celui des membres du noyau cooptant, de façon à constituer une commission paritaire provisoire, ayant pouvoir de décision. La manoeuvre consistait, après les avoir fait élire par leurs pairs, d'exiger la mise en place d’une commission paritaire composée de l’ensemble du noyau cooptant, donc des 35 ou 39 enseignants et d'un nombre égal d’étudiants. C'est cette commission-là qui aurait alors désigné les enseignants. Cette revendication des communistes est minimale par rapport à ce que demande l’ensemble des autres candidats à l'inscription à Vincennes.

 

Les "21 conditions"

 

Pour l’ensemble de ces étudiants non communistes, le fait marquant avant janvier 1969, est la parution des “21 conditions”, le mardi 5 novembre 1968, dans le journal “Action” (article reproduit dans les Annexes). Elles sont signées par un comité d’Action Vincennes dont l'un des animateurs et le principal auteur du texte est Jean-Marc Salmon. Leur texte est soumis à la discussion lors d’un meeting-débat sur Vincennes organisé par l’AG des étudiants de Vincennes avec la participation du SNESup et du bureau de l’UNEF, le 6 novembre à la Sorbonne. Le premier paragraphe s’appelle : “Qui prendra le château de Vincennes?” Le début de l’article met en évidence que deux forces sont en présence qui ont essayé de prendre le pouvoir à Vincennes: d’une part, le gouvernement; d’autre part le mouvement des étudiants et des travailleurs. Les enseignants ne constituent pas une troisième force en soi; ils se placent, selon les individus, d’un côté ou de l’autre, en fonction de leurs affinités. Le texte dit (à quelques nuances près): “Nous avons gagné Vincennes en Mai.....Vincennes est une victoire du mouvement de Mai.....”. L’action du mouvement ne sera payante que s'il ne se laisse pas intégrer dans le cadre des institutions universitaires. On retrouvera cette question tout au long de l’histoire de Vincennes; les gauchistes refuseront systématiquement de s’intégrer à l’intérieur de quelque institution que ce soit et notamment de participer aux élections, ce qui sera lourd de conséquences; ce qui amènera, entre autres, à la mise en place, plus tard, à partir de 1971, des Commissions qui auront voix au chapitre sur toutes les décisions, même le budget, même la nomination des enseignants, la répartition des locaux, .... Le Conseil de l’Université, obligé de tenir compte de leurs avis ne fera très souvent qu’entériner une proposition émanant d’une commission.

 

     Le texte exige l’ouverture de l’université aux ouvriers et que cette ouverture soit effective notamment en ce qui concerne le contenu du savoir qui circule dans cette fac. Le but est d'étendre le travail universitaire au terrain de la lutte de classe directe, par exemple, des jumelages Université-Usine et des actions effectives.

 

Il met aussi en évidence que le pouvoir a mis en place à Vincennes des enseignants non pas de son bord, gaullistes ou proches, mais au contraire des enseignants de gauche. Le but recherché est de se lier avec le mouvement étudiant et de le récupérer, de “le domestiquer en le faisant participer”. Le gouvernement espère ainsi que ces enseignants “joueront le même rôle que le PCF et la CGT dans les usines; sous couleur de condamner verbalement l’ordre bourgeois, en interdire toute contestation effective”.

 

Il dénonce le fait que cette création de l’université s’est faite dans le dos des étudiants; elle a été entièrement cachée à tout le monde et notamment aux étudiants. Le pouvoir veut mettre les étudiants devant le fait accompli d'une faculté toute faite, avec un programme terminé, de façon à pouvoir restaurer l’autorité universitaire dans tout son arbitraire.

 

Il dénonce la notation continue qu’il considère comme un examen permanent qui transforme l’enseignant en un “flic” Faire noter l’assiduité et la participation des étudiants au cours, c’est transformer les facs en lycées.

 

Il énumère les victoires et les atouts du mouvement: suppression des examens, possibilité de boycotter les inscriptions à Vincennes, bloquer sur le terrain toutes les institutions qu’on prétend imposer. Et il dit que sur toute la France, c’est sur le terrain universitaire que le rapport de force est le plus en faveur du mouvement.

 

Il situe ensuite les trois tendances, les trois positions qui s’opposent vis-à-vis de Vincennes. Celle du PCF et de l’UEC est d’accepter l’institution universitaire et donc, tacitement, l’idéologie de la promotion sociale par l’université bourgeoise. La seconde, d’extrême gauche, critique verbalement très violemment les propositions et les actions du pouvoir mais, dans le concret, ne fait pas grand-chose. Cette dénonciation est soutenue par une analyse assez manichéenne. La troisième position aimerait mettre en place l’autogestion et donner tous les pouvoirs aux Assemblées Générales d’étudiants pour en faire “des micro-ministères autogestionnaires”. Les auteurs du texte ont peur que ces AG ne traitent de questions futiles, comme de choisir certains noms de professeurs (notamment de choisir pour la philosophie “entre Foucault et Duvignaud”) et ne deviennent des chambres d’enregistrement de décisions déterminées ailleurs. Ce manifeste des 21 propositions refuse d'adhérer à l'une de ces trois tendances, les dénoncent et dit que la seule gestion, c’est celle de la lutte, que la seule autonomie concevable, c’est celle du mouvement étudiant. “ L’Université est le lieu de conflits permanents dont les deux pôles sont le pouvoir et le mouvement. Notre rôle est d’exploiter ces conflits et de construire une université politique”.

 

     “Vincennes sera de toute manière une université bourgeoise....... la destruction de cette université n’est à long terme qu’un des enjeux de la lutte. Il faut se servir de cette université contre la bourgeoisie elle-même et détourner au profit de la lutte les moyens pratiques et scientifiques de l’université”.

 

Le texte dénonce ensuite la nomination des “grands professeurs”, ce qui lui semble ridicule et affirme qu’il n’est pas question pour le mouvement d'entrer dans ce jeu-là et de dire: ”Nous ne voulons pas tel professeur, nous voulons tel autre”. Le problème n’est pas de choisir des grands professeurs, des bons ou des mauvais, mais, entre des enseignants qui appartiennent au mouvement et ceux qui n’y appartiennent pas, de choisir ceux qui y appartiennent. “Servir le mouvement, c’est y participer, c’est-à-dire lier l’étude théorique et l’action militante”. Et il exige que l’Université devienne un lieu de contestation politique, un lieu “politique” par définition, un centre de critique permanente de l’Université bourgeoise, que l’Université serve la réflexion et la discussion politique du mouvement, qu'elle soit une base pour la préparation des actions extérieures; l'enseignement ainsi conçu permettra d’élever le niveau de compréhension théorique et de formation politique de l’ensemble des militants et étudiants, et permettra de mieux fonder la pratique du mouvement. Les gauchistes veulent donc se servir de Vincennes comme une base de formation politique, une base de débats d’idées d’où pourra repartir un autre Mai.

 


 

Telles que les a publiées "Action" les 21 conditions se présentent ainsi:

 

1) Ouverture de Vincennes aux étudiants et enseignants le plus tôt possible, vers le 20 novembre.

 

2) Organisation d’un débat entre étudiants et enseignants sur le thème: “Qu’a apporté le mois de Mai en ce qui concerne l’analyse de l’Université, de son rôle et de son organisation.” On dit que Vincennes est une conquête de Mai. Tirons-en les conséquences.  

(Dès le début de l’ouverture, les gauchistes veulent organiser un grand débat pour tirer les conséquences de Mai. Au lien direct entre ce qui s’est passé en Mai et l’université de Vincennes doit correspondre un lien direct entre l’université de Vincennes et ce à quoi elle va servir, son but, la révolution).

 

3) Exigence de donner valeur nationale aux diplômes délivrés à Vincennes.

 

4) Refus de limitation a priori du nombre des inscrits. Refus du numerus clausus à 7.000.( Cette exigence ne sera pas du tout satisfaite, puisque le nombre des inscrits sera limité à 7500-8000.)

 

5) Double inscription possible pour chaque étudiant à la Sorbonne et à Vincennes; possibilité de s’inscrire chaque semestre au lieu d’une fois par an.

(Revendication intéressante  dans la mesure où elle est  justifiée par le caractère expérimental de Vincennes et les possibilités qu'elle ouvre à la pluridisciplinarité: si les étudiants peuvent cumuler les enseignements de la Sorbonne, et ceux de Vincennes, leur choix sera beaucoup plus large et notamment un choix interdisciplinaire. Mais elle marque aussi la crainte des étudiants que Vincennes, que son statut expérimental, soit éphémère, voire que même que Vincennes n’ouvre pas ses portes) .

 

6) Pas d’obligation d’inscription pour assister aux cours et aux séminaires du soir.

(Il faut faciliter l’accès de l’université aux travailleurs qui obtiendront un accès gratuit et direct à l’université et au savoir qu’elle dispense sans souci administratif.)

 

7) Possibilité pour chaque étudiant et enseignant inscrit d’inviter qui il veut à manger avec lui au restaurant universitaire.

 

8) Service de transport gratuit jusqu’au Quartier Latin et vers les banlieues ouvrières.

 (Les étudiants ont besoin d’être en communication avec les autres étudiants, avec la presse, avec les moyens de diffusion, le besoin d'être au courant de ce qui se passe, le besoin de diffuser, de publier, de communiquer et d’étendre le mouvement; et puis toujours le souci de permettre l’accès aux ouvriers des banlieues de l’université de Vincennes. Il faudra de nombreuse interventions pour obtenir une navette reliant l'université au métro le plus proche, "Château de Vincennes"  ).

 

9) Égalité en toutes choses des étudiants.

 

10) Refus de la notation continue. De ce fait, il est laissé à chaque unité d’enseignement de déterminer elle-même son propre type d’évaluation, qui peut être un entretien collectif avec un enseignant, un rendu de rapport, de thèse, ou toute autre formule imaginée en commun (....)

 

12) Possibilité de fixer les dates d’examen à convenance.

 

13) “Postes d’assistants en blanc, la nomination étant laissée à l’initiative des étudiants”

(Les étudiants veulent designer eux-mêmes, non pas tous les enseignants mais ceux du rang des assistants, c’est-à-dire la majorité; c’est la condition qui fera le plus de bruit; les enseignants n'en sont pas d'accord. Tous les témoins interrogés, tous les médias consultés (le Nouvel Observateur excepté) sur ces 21 conditions évoquent cette seule 13 ème condition; ils prétendent, d'autre part, que les étudiants veulent désigner l’ensemble des enseignants et non les seuls assistants).

 

14) Possibilité pour les étudiants d’inviter qui ils veulent dans le cadre des enseignants associés.

 

Viennent ensuite une série de conditions qui exigent le droit à l’information, le droit aux réunions politiques, le droit d’utiliser les salles de Vincennes sans restrictions, tard dans la soirée, et le droit de diffuser l’information politique, en particulier par affichage.

 

Réciproquement, toute instance ayant pouvoir de décision doit afficher le compte rendu du conseil de réunions (afin qu’il soit porté à la connaissance de tous ).

 

La police est interdite sur le campus universitaire; le doyen n’a plus le droit de demander son intervention et de la faire entrer dans son périmètre.

 

Les appariteurs ne doivent en aucun cas être choisis parmi des personnes ayant eu des fonctions policières ou militaires ( à la seule exception du Service militaire obligatoire) et les étudiants peuvent contrôler qu'il en est bien ainsi. Tous les partis, associations,  groupuscules peuvent avoir des locaux et des moyens matériels à l’intérieur de l’université de Vincennes.

 

L’article conclut en précisant bien qu’il ne s’agit pas là, évidemment, de proposer des réformes de l’enseignement, mais de préserver le maximum des possibilités de réflexion et d’action pour les étudiants et le mouvement. Il finit en affirmant que les signataires de l’article feront tout, et qu'ils sont prêts à se battre, pour faire aboutir ces conditions, seule plate-forme de revendications acceptable. En conclusion, les enseignants sont invités à apposer leur signature au bas de ces 21 conditions.

 

Un tel manifeste présente donc la faculté (Vincennes) comme le terrain d’affrontement entre deux pouvoirs, le gouvernement et le mouvement étudiant uni aux travailleurs. Il énonce clairement que "la seule conception de la cité qui vaille" est celle qui met en place une université politique et que  le but de cette université est de faire de la politique, de former des esprits politiques, de former les étudiants à la politique. A partir du moment où existe un enseignement, il ne peut se concevoir que politique, politisé, l’un des buts essentielle, sinon le but, de l’enseignement supérieur étant de se poser des questions sur ses rapports à la société, ses possibilités d'action pour la transformer.

 

Il est difficile d'apprécier aujourd'hui l’impact, vraisemblablement assez important, de ce numéro d’Action. Pourtant, 24 ans plus tard plusieurs témoins n'en ont gardé aucun souvenir. Jean-Marc Salmon m'en a donné, sans le vouloir, un exemple caricatural; il est, aux dires d’un autre témoin, l'auteur des principales de ces 21 conditions; il n'en avait, lorsque je l'ai interrogé, aucun souvenir et j'ai dû lui en rappeler le contenu. Or s'il est compréhensible, mais curieux tout de même, que les enseignants aient occulté ces exigences, il parait surprenant qu'un étudiant, et pas n’importe lequel, animateur du comité d’action de Vincennes, très marqué politiquement, leader indiscutable et probablement l'un des auteurs de cet article, que cet étudiant là ait tout oublié d'une revendication aussi radicale! Cet oubli est sans doute révélateur; de quoi ? Ces 21 conditions n'auraient-elles eu aucune importance, même pour leurs auteurs? Comment le savoir?

 

Il apparaît en tous cas que les étudiants sont aussi en droit de réclamer d'une certaine manière la paternité de Vincennes, ce qui brouille un peu les pistes qui jusqu'alors semblaient clairement tracées à savoir qu'un groupe d’enseignants, avec le Cabinet d'Edgar Faure, est à l’origine de ce projet.


 

LA SITUATION A LA RENTRÉE UNIVERSITAIRE

 (janvier 69)

 

  Nous sommes en janvier 1969.

 

Les enseignants sont 240.

Les étudiants inscrits seront, le 27 février 1969,  7904.

Les inscriptions sont closes le 20 janvier.

Vingt huit départements sont en place ( liste en III C 5)

Un comité de dix enseignants (voir la liste en fin de paragraphe II B 1, Les fondateurs) représentant les départements gère provisoirement l’université, attendant d’être remplacé par une autre structure.

 

Raymond Las Vergnas quitte ses fonctions en janvier (pour se consacrer entièrement au décanat de la Sorbonne). Un administratif, Jérôme Séïté ( le propre mari de la future Ministre des Universités, Alice Saulnier-Séïté, qui fera raser les locaux de Vincennes), le remplace mais son rôle sera exclusivement administratif.

 

Très vite, des troubles éclatent; les étudiants et certains enseignants occupent des locaux fin janvier pour faire pression sur le ministère qui n'a rempli ses engagements ni budgétaires ni administratifs (cf. II C 3, L'administration))

 

Des conflits éclatent entre différents groupes politiques.

 

La belle ordonnance mise en place par le Cabinet du Ministre et ses inspirateurs universitaires se met à bouger: les étudiants l'investissent et l'utilisent.

 

    Une Vincennes différente commence.


 

 

 

 VINCENNES EN PERSPECTIVE

(à partir de janvier 69)

 

 

 

Quelles ont été les attentes du gouvernement, celles du noyau d’enseignants de départ et celles des étudiants par rapport à Vincennes?

 

 

La vision du gouvernement

  

Le gouvernement voulait créer une université dont le renouveau pédagogique traduirait sa volonté de réforme; le projet comportait, en filigrane, un recadrage social des étudiants.

 

La réforme Fouchet avait introduit la sélection à l’université, tri pour obtenir une élite. Et les IUT, fournisseur d'une main d'oeuvre compétente résidu de cette élite, n’étaient pas suffisamment nombreux pour absorber le surplus d'étudiants qu'apportait au troisième cycle le flux démographique et cette sélection.

 

 Vincennes, dans l’optique des membres du cabinet, devait être plus ouverte au monde extérieur et créer une passerelle entre le monde du travail et l’université. Elle devait attirer des personnes venues du monde du travail et alimenter le monde du travail par de individus formés à l’Université. Cette Université expérimentale reprenait, en quelque sorte, la vieille utopie de "l'université populaire”. Une telle vision était même acceptable par la droite.

 

Dans l'idée du Cabinet, Vincennes jouait aussi pour l'Université, un rôle de soupape qui permettrait d'éviter qu’elle n'explose de l’intérieur. Selon un source sûre, Edgar Faure aurait dit en substance à un confident " Si Vincennes réussit, je serais un grand homme; si elle rate, on me sera reconnaissant d'avoir débarrassé l'Université de ces trublions gênants".

 

 

 

La vision du noyau initial d’enseignants

 

Les enseignants initiateurs du projet voulaient sauver l’Université. Imprégnés des idées des colloques de Caen et d'Amiens, ils estimaient que l'étape essentielle en était un renouvellement des méthodes pédagogiques impliquant un nouveau type de rapports étudiants enseignants. En fait, sous-jacent à cette remise en question se profilait un nouveau rapport à la connaissance: chacun apprend des autres; les étudiants d’un degré de connaissances différent s’apprennent mutuellement et l’enseignant apprend des étudiants comme il leur apprend.

 

 

La vision des étudiants

 

L’idée des étudiants était de transformer l’université en en faisant un laboratoire social. Reflet de la société, l’Université ne devait pas se couper d'elle mais, levain de transformation radicale, devenir le moyen de la faire exploser. Vincennes était perçue comme une base de formation politique à partir de laquelle pourrait démarrer la Révolution. Le mouvement de mai allait se prolonger à Vincennes d'où, ensuite, il s’étendrait ailleurs.

 

Cette présentation est évidemment beaucoup trop schématique, chaque catégorie comportant des groupes, souvent fractionnés en sous groupes qui ne rassemblaient pas forcément des individus d'une même catégorie. Elle essaye cependant de condenser certaines constantes des commentaires entendus ou lus au cours de cette recherche.

 

Les vues imposées par le groupe initial d’enseignants évolueront à partir de janvier sous la pression et avec les apports des étudiants. Par contre, si de mai 68 à janvier 69 le Ministère collabore étroitement avec cette équipe d’enseignants, à partir de la présidence de Pompidou, il se contente de disposer du budget alloué et des postes. Le temps passe et, plus mai et la hantise qu'il inspire seront loin, plus le Ministère deviendra méfiant: le nombre des postes diminue et plusieurs crédits sont retenus.

 

En même temps, le recrutement des étudiants va s’homogénéiser. Les plus extrémistes partis, Vincennes va perdre de sa diversité, s’assagir. Et, face à la politique gouvernementale, les vincennois qui auront connu beaucoup de conflits internes, vont, par réaction, être de plus en plus solidaires, plus unis.

 

 

La défiance gouvernementale, de restriction en restriction, aboutira en définitive à la fermeture de Vincennes par le Ministre des Universités, Alice Saulnier-Seïté en août 1980, à son transfert à Saint-Denis et à l'effacement, à coups de bulldozers, de toute trace matérielle de son existence éphémère. La portée symbolique de ce geste est d'autant plus affirmée que GEEP et le cabinet avaient prévu une construction démontable, ce qui, à l'échéance du bail de dix ans, permettait un déplacement peu coûteux sur une autre terrain.

 


 

 

 

CONCLUSIONS

 

 

 

Devant conclure, j’ai, avant tout, le sentiment de laisser ce travail non terminé, de n’être pas parvenu à en saisir tous les aspect : la gestation de Vincennes garde un certain mystère bien que sa durée ne dépasse pas 6 mois. Alors que j’ai restreint mon objectif initial à cette courte période, elle se révèle encore trop riche. Le temps dont je disposais y est certainement pour quelque chose; dans la mesure où, sur le sujet, les documents écrits sont rares, les témoignages, source essentielle, auraient demandé une confrontation critique beaucoup plus fouillée. Le panorama qui résulte de l’état actuel de la recherche reste encore flou, incertain, approximatif....Reprendre ces données, nombreuse, partielles et souvent partiales permettrait certainement d’éclairer bien des points encore douteux ou méconnus.

 

 Avoir recueilli des témoignages oraux tardifs (deux décennies après l'événement), à la fois par quasi obligation et par goût, m’a fait réfléchir. “La naissance de Vincennes”, comme tout événement, est susceptible de plusieurs lectures; ici, deux au moins: celle, concrète, que tout un chacun a pu tenter entre mai 1968 et janvier 1969 et l’autre, plus abstraite, qui est celle de son sédiment dans la mémoire collective de la génération qui l’a réalisée. Or les témoignages tels qu’ils me sont apparus, appellent certainement plus la seconde lecture que la première. L’histoire orale ne gagnerait-elle pas à être plus valorisée et développée? Comparer un document d’époque et ce que la mémoire d’un individu ou un groupe a fait de l'événement qui s’y rapporte n’éclaire-t-il pas mieux la mentalité de cette époque, l’imaginaire individuel ou social que le commentaire objectif; et cet imaginaire n’aurait il aucune place dans l’histoire des mentalités? Le dialogue et son affectivité, la “sympathie” ne permettent-ils pas l’accès à des implicites qu’aucun document ne révélera de la même façon?

 

Atypie-utopie? Ce titre qui conviendrait, en fait, à toute l’histoire de l’Université “expérimentale” de Vincennes, illustre parfaitement son apparition en société. Bien que tenue sur les fonts baptismaux par l’officialité gouvernementale, bien que bercée par des enseignants déjà en place, privée dans ces six premiers mois, dont on sait qu’ils conditionnent tout le comportement ultérieur, de la présence de ses pères étudiants, elle naît, atypique,  hors normes, hors budget, hors promotions... Utopique, tous les rêves des acteurs de mai 1968 l’étaient; mais le pari que les Vincennois lancent au lendemain de ces journées l’est plus que d’autres encore: vouloir changer radicalement l’enseignement supérieur, associer, pour apprendre, les travailleurs et les contestataires de mai; croire que, sans expérience, sans hiérarchie, sans préalables, tout cela fonctionnera? Qui osera dire, expérience faite, que cette atypie n’était qu’utopie?

 

En hâte, dans une tension permanente, passionnelle, euphorique, féconde, quelques complices regroupés par l’été parisien qui suit mai 68, servis par le sens politique du magicien Edgar Faure jouant de l’appui inconditionnel de de Gaulle, mettent en place par un tour de passe-passe éblouissant le cadre légal qui fera de Vincennes un laboratoire pédagogique sans équivalent. Cette mise en forme, quasi clandestine, légalement nécessaire, préfigure ce que sera le Vincennes de la légende et des dénigrements. Mais c’est une forme vide; les étudiants sont étrangement absents des documents et des témoignages de cet été là; elle se gonflera d’un sève bouillonnante dès la rentrée acrobatique de janvier 69 qui d’orages en tempêtes mûrira ses fruit jusqu’à l’arasement-transfert de 1980 et au delà. Les Français vont découvrir que les impertinents gamins qui ont joué à leur faire peur sont les témoins responsables d’une nouvelle génération.

 

Cet enthousiasme des fondateurs j’ai eu plaisir à le retrouver, aujourd’hui encore, dans les récits que j’ai pu recueillir; tous, sans exception, manifestaient une envie de témoigner comme si chacun sentait, plus ou moins consciemment, que quelque chose d’important était en train de se perdre, d’être effacé par le temps ou tout au moins d’être perdu pour ceux qui ne savent pas. Il explique certainement le ton que certains jugeront trop lyrique de ces conclusions.  Froides et neutres elles auraient certes convenu à l’exposé traditionnel que demandaient les maîtres d’avant 1968. Mais cette université ne déclinait-elle pas de conformisme? 

 

Nos aînés de mai, dont certains sont aujourd’hui enseignants, ont, me semble-t-il à travers ces témoignages, conquis pour leurs successeurs le droit à une liberté d’expression qui permettrait à d’autres de manifester sur cette expérience, discutable à certains égards, une opinion différente; elle me permet symétriquement de leur rendre hommage.

 

En quelques mois ils ont fait surgir une université ouverte à tous, un tout autre rapport au savoir basé sur la confrontation des points de vue et sur une “vérité plurielle” que concrétisera la création les “Unités de valeur” telles qu’elles étaient alors pratiquées, la rencontre de plusieurs nationalités et celle des étudiants et des enseignants dans un rapport d’individu à individu:  il était en question de bâtir ensemble une nouvelle société....

 


 

Documentation

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 N.B. :  Ne sont répertoriés que les documents qui ont servi pour la réalisation de ce mémoire     

         

 

Ouvrages

 

    Beaud Michel  Vincennes An II. Le ministère contre l'université. Paris, Jérôme Martineau, Société Le Gadenet, 1971, 103 p, in-8, 22,5 cm

 

    Joffrin Laurent   Mai 1968, histoire des événements,  Paris, Le Seuil, 1988, 376 p

 

    Lacouture Jean  De Gaulle 3, Le souverain. , Paris, Le Seuil,1986

 

    Merlin Pierre. L'université assassinée: Vincennes (1968-1980) Paris, Ed Ramsay, 1980, 291 p, 24cm

 

                                          L'université ouverte: les dossiers de Vincennes, présentés par Michel Debeauvais, Grenoble. Presses universitaires de Grenoble (1976), 300 p, in-8, 24cm

 

                                 Vincennes ou le désir d'apprendre . 

    Ouvrage collectif (J Brunet, B Cassen, Fr Chatelet...)Présentation générale de Pierre Merlin, Paris, A Moreau 1979, 287 p, 18cm.

 


 

Périodiques

 

    Debeauvais, Michel.  "Vincennes: autogestion ou cogestion?" Articles de Michel Debeauvais  et Georges Lapassade, Epi, Paris 1973, 66p, 24 cm

 

    Debouzy Marianne, "Vincennes pour y faire quoi?", Esprit, N°11-12, nov-déc 1978: p 87 à 97

 

    Hamon Hervé; Rothmann Patrick, "Vincennes ou l'anomalie". Le Débat, N°12, mai 1981: p38 à 49

              

               Maitron Jean, Perrot Jean-Claude et Michelle, Rébérioux Madeleine,     "La Sorbonne par elle même" Le mouvement social, n°64, juillet-septembre 1968, Editions Ouvrières

 

 

   

              Le Monde Collection de septembre 1968 à janvier 1969

 

    Le nouvel Observateur Collection de septembre 1968 à janvier 1969

 

    L'Aurore Collection de septembre 1968 à janvier 1969

 

 

 


 

 

                                                               

                                                SOURCES

 

 

Archives

 

Les archives de l'Université Paris VIII de Vincennes (non classées) qui se trouvent à la bibliothèque universitaire de cette université (Vincennes-à-Saint-Denis)

                                          

Documentation personnelle d’Alain Bué: Revues vincennoises, cartes IGN, coupures de presse.

 

Documentation personnelle de Paul Chaslin : coupure de presse, revues spécialisées de construction...

 

Documentation personnelle d’Hélène Cixous: Documents administratifs, lettres.....

 

Documentation personnelle d’Assia Melamed : sur l’histoire d’université de Vincennes: coupure de presse; la loi d’Orientation et des commentaires; documents administratifs; textes de réflexion sur l’Université; entretiens de vincennois; première partie d’un ouvrage écrit par Assia Melamed.

 

Documentation personnelle de Sylvère Monod : documents administratifs, la loi d’orientation; document sur le noyau cooptant.

                                          

Documents personnels deClaude-Marie Vadrot : ses articles dans “l’Aurore",coupures de presse, documents administratifs, notes manuscrites .

 

Décret de création : Décret N° 68-1106 du 7 décembre 1968 portant création à Vincennes d'un Centre universitaire ayant statut de faculté. Journal officiel (parution du 10/12/1968).

 

 

 

N B: Les documents oraux figurent dans le chapitre des témoins interviewés.

 

 

 

 

 

ANNEXES

 


 

 

CHRONOLOGIE

 

 

MAI

courant mai   Le doyen de la Sorbonne, Marcel Durry démissionne

15-31mai Élection de R Las Vergnas par les deux assemblées

20 mai  1ère note de Jacques de Chalendar diffusée dans les campus universitaires

22 mai  2ème note de Jacques de Chalendar. “Réflexions sur les  modalités de réforme de l’université”

28 mai  Démission du ministre de l'Éducation Nationale, Alain Peyrefitte

30 mai  L’assemblée plénière prend le pouvoir à la Sorbonne.

            Michel Alliot et la CNID : "Propositions pour de nouvelles structures universitaires" (premier brouillon)  

31 mai  Nomination de François Ortoli, ministre de l'Éducation Nationale

mai-juin     Hélène Cixous, à la faculté de Nanterre; première idée de ce que pourrait être Vincennes?

 

JUIN

 

Courant juin  Hélène Cixous et Pierre Dommergues présentent à R Las Vergnas leur projet d’université expérimentale

16 juin  Évacuation de la Sorbonne

23 et 30 juin  Élections législatives. Raz de marée gaulliste

Fin juin  L’Assemblée étudiants/enseignants confirme l’élection de R Las Vergnas.

            Hélène Cixous et Pierre Dommergues demandent à leurs étudiants de faire un dossier de presse sur le système universitaire.

 

JUILLET

 

8 juillet Entretien entre le général de Gaulle et Edgar Faure qui accepte le portefeuille de l'Éducation Nationale

9 juillet Gérald Antoine à Orsay est convoqué par Edgar Faure qui lui propose de faire partie de son Cabinet.

10 juillet    Pompidou est remercié; son gouvernement aussi.

               Gérald Antoine consulte Robert Blot.

11 juillet  Edgar Faure est nommé à l’ Éducation Nationale

               Il propose à Michel Alliot la direction du cabinet (qu’il accepte)

              Gérald Antoine accepte sa nomination auprès du ministre

12 juillet matin  Michel Alliot recrute Jacques de Chalendar au Cabinet.

12 juillet          Le nouveau gouvernement est formé.

courant juillet     Réunions des doyens au ministère à propos de l’avenir de l’Enseignement Supérieur et des locaux à construire. R Las Vergnas s’y fait remplacer par Pierre Dommergues.

17 juillet    Épisode de "l'entrefilet du Monde". C'est ainsi que P. Chaslin, directeur de la société de construction GEEP, entre dans le projet de Vincennes.

18 juillet    Paul Chaslin s'engage à construire Vincennes auprès de Gérald Antoine et Robert Blot.

19 juillet    Paul Chaslin confirme son engagement auprès du directeur de la DESSU, Mr Reynaud.

20 juillet    Le vice-recteur de l'Université de Paris, Claude Chalin, propose à Paul Chaslin un terrain à Vincennes.

21 juillet    P Chaslin visite le terrain de Vincennes (qu'il refusera parce que boisé) et d'autres à Antony et Boulogne.

24 juillet Discours d'Edgar Faure à l’Assemblée nationale: première ébauche de la loi d’orientation

24 juillet    Claude Chalin fait une conférence de presse:  il annonce le besoin de 24.000 places d’étudiants


fin juillet    R Las Vergnas se fait remplacer par Jean Baptiste Duroselle dans les réunions ministérielles traitant de la vocation des bâtiments de l'ex- OTAN à la Porte Dauphine

           Bernard Cassen revient d'Écosse rappelé par Pierre Dommergues

30 juillet    Réunion des collaborateurs de Paul Chaslin avec le Service constructeur de l'Université de Paris

 

AOUT

 

1er août   Communication des plans du terrain de Vincennes par les militaires

2 août  Visite du énième terrain (“le bon”) de Vincennes par Paul Chaslin, Schmidt et Burlot. Paul Chaslin donne son accord

               Première esquisse du plan-masse de Vincennes par GEEP

5 août  j’ai fait un rêve.... “, R Las Vergnas à Edgar Faure. Présentation du projet d’université expérimentale

6 août  La conservation du bois de Vincennes interdit l'accès aux engins

9 août  Décision du ministère de choisir le terrain de Vincennes

13 août    Paul Chaslin et Claude Chalin visitent les terrains d’Asnières, Clignancourt, Clichy et Vincennes

Vers le 15 août Désignation officieuse de R Las Vergnas comme chargé de mission pour Vincennes

du 16 au 21 août Démolition des hangars militaires.

21 août        Début de la construction.


 

SEPTEMBRE

 

en septembre     Sylvère Monod se charge du recrutement des enseignants

                         Jean Gattégno  se charge des inscriptions

                         Mise en place de la Commission d’Orientation      

7 septembre       Le sous sol de la cuisine est creusé

9 septembre       Nomination officielle de R Las Vergnas comme chargé de mission pour la création du CUE de Vincennes

9 septembre       Paul Chaslin remet les plans du bâtiment d’accueil au inistère

14 septembre     Visite de chantier avec Jacques de Chalendar

18 septembre     Début des travaux des bâtiments d’accueil

 

OCTOBRE

 

2 octobre Ouverture des inscriptions pour Vincennes à Censier

5 octobre Constitution officielle de la commission d’orientation

Fin octobre   Edgar Faure "retourne" les Conseillers de Paris

 

NOVEMBRE

 

5 novembre  Parution des “21 conditions" des étudiants dans le journal Action

6 novembre  AG d'étudiants à la Sorbonne. Présentation du centre de Vincennes

8 novembre  Clôture théorique des inscriptions (la date sera repoussée)

12 novembre         Promulgation de la loi d’orientation

Entre le 15 et le 20 novembre        Fin des travaux de Vincennes

fin novembre Pseudo inauguration de Vincennes


 

DÉCEMBRE

 

10 décembre         Ouverture des portes à Vincennes

mi-décembre Les inscriptions sont transférées de Censier à Vincennes.

vers le 20 décembre  2.000 inscrits à Vincennes. Le nombre de postes d’enseignants est réduit de 240 à 120

Vacances de Noël   Campagne publicitaire sur France Inter (Inter-service jeunes). Les inscriptions ont à nouveau lieu à Censier. Plus de 2000 étudiants s’inscrivent à Vincennes

 

JANVIER 1969

 

3 janvier   4.160 étudiants inscrits

8 janvier   A peu près 5.000 inscrits

13 janvier    Rentrée universitaire à Vincennes

20 janvier Clôture des inscriptions

Fin janvier A peu près 7.500 inscrits (27 février: 7.904 inscrits)

 

 LES TÉMOINS INTERVIEWÉS

   

    Chaque nom est suivi de la date de l’entretien, puis des fonctions occupées par la personne à l’époque de la fondation de Vincennes (en abrégé: épo) et  celles qu’elles occupent de nos jours (actu).

 

Michel Alliot: 1)29 février 1992 (entretien au téléphone); 2)27 juin 1992                                                                                                                     

épo: Directeur du cabinet du ministre de l’éducation Nationale, Edgar Faure.

actu: Enseignant en Anthropologie juridique à Paris 1. Ancien recteur de Versailles

 

Gérald Antoine: 25 Mai 1992

épo: Chargé de mission auprès du ministre de l'Éducation Nationale, Edgar Faure

          actu: Retraité

 

Michel Beaud: 10 juillet 1992

épo: Enseignant en économie à Vincennes.

actu: Enseignant en économie à Paris 7

 

Alain Bué: 5 février 1992

épo : Étudiant en géographie peu après l’ouverture de Vincennes

actu: Enseignant en géographie à Paris 8.

 

Bernard Cassen: 26 juin 1992

épo: Enseignant en anglais à Vincennes, un des fondateurs de Vincennes.

actu: journaliste au “Monde diplomatique”.

 

Paul Chaslin: 1) 12 mars; 2) 18 mars 1992.

épo : Directeur de la société GEEP qui a construit Vincennes

actu: Retraité

 

Hélène Cixous: 5 mars 1992

épo: Enseignante en anglais à Vincennes; une des fondatrices de Vincennes

actu: Enseignante en anglais et en études féminines à Paris 8; écrivain de théâtre.

 

Antoine Cullioli: 6 mars 1992

 

épo : Responsable du projet initial du centre expérimental d’Antony

actu: Enseignant en linguistique à l’université Paris 7.

 

Jacques de Chalendar: 5 mars 1992

épo : Conseiller technique pour l’enseignement supérieur auprès du    ministre de l’éducation nationale Edgar Faure

actu: Retraité; président de l’association France Pologne.

 

Pierre Dommergues: 20 juillet 1992

épo: Enseignant en anglais à Vincennes, un des fondateurs de Vincennes

actu: Enseignant en anglais à Paris 8.

 

Jacques Droz: 13 février 1992

épo : Enseignant en histoire; futur président de Vincennes

actu: Retraité.

 

Jean-Baptiste Duroselle: 6 février 1992

épo: Enseignant en histoire; vice-doyen de la Sorbonne aux cotés de Raymond Las Vergnas; président du noyau cooptant

actu: Retraité

 

Yann Gaillard: 2 juillet 1992 (entretien téléphonique)

épo: Directeur adjoint du cabinet du ministre de l’éducation nationale, Edgar Faure (chargé des finances)

actu: Inspecteur des finances au ministère de l’économie et des finances.

 

Jean Gattégno: 24 Mai 1992

épo : Enseignant en anglais à Vincennes, chargé dans l’équipe initiale des inscriptions des étudiants.

actu: Chargé de mission pour le projet de la Très Grande Bibliothèque.

 

Bernard Gauthier: 25 mars 1992

épo: Secrétaire général du rectorat de Paris.

actu: fonctionnaire au ministère de l’agriculture.

 

Jean-Philippe Genet: 26 février 1992

épo : Enseignant en histoire à la Sorbonne

actu: Enseignant en histoire à l’université Paris 1; époux de Marie-Claude Genet.

 

Marie-Claude Genet: 24 mars 1992 (entretien téléphonique)

épo: a participé aux commissions de la Sorbonne au printemps 1968

actu: ?

 

Raymond Las Vergnas: 16 juin 1992

épo: Enseignant en anglais; doyen de la Sorbonne; responsable du projet de Vincennes

actu: Retraité

 

Assia Melamed: 5 mars 1992

épo: Membre du personnel administratif au département de philosophie de Vincennes.

actu: membre du personnel administratif de Paris 8; a rassemblé une documentation considérable sur Vincennes (projet de thèse).

 

Pierre Merlin: 6 février 1992

épo: Enseignant en géographie et en urbanisme à Vincennes; futur président de Vincennes.

actu: Enseignant en géographie et en urbanisme à Paris 8.

 

Sylvère Monod: 22 juin 1992

épo: Enseignant en anglais à Vincennes, plus particulièrement chargé du recrutement du noyau cooptant dans l’équipe initiale.

actu: Retraité.

 

Claude Mossé: 10 février 1992

épo : Enseignante en histoire à Vincennes.

actu: Enseignante en histoire à Paris 8.

 


 

 

Michelle Perrot: 23 mars 1992

épo: Enseignante en histoire.

actu: Enseignante en histoire à Paris 7.

 

Michel Royer: 1)30 juillet 1992; 2) 31 juillet 1992 (entretiens au téléphone)

épo: Étudiant, ayant fait partie de l’équipe initiale; puis enseignant à Vincennes à la première rentrée.

actu: Enseignant en Lettres Étrangères Appliquées à Paris 8.

 

Jean-Marc Salmon: 27 mars 1992

épo: Étudiant à Vincennes; un des porte-parole du mouvement étudiant vincennois; rédacteur au journal “Action”.

actu: participe à l’aménagement des villes nouvelles de la région lyonnaise.

 

Claude-Marie Vadrot: 14 février 1992

épo: Journaliste à l’Aurore, chargé des articles sur Vincennes; étudiant à Vincennes.

actu: Journaliste au Journal du Dimanche.

 

Henri Weber: 20 février 1992 (entretien au téléphone)

épo: Un des dirigeants de la Ligue Communiste Révolutionnaire; enseignant ou étudiant (?) à Vincennes.

actu: Adjoint au maire de Saint-Denis; occupe un poste dans la direction du parti socialiste.

 

Claude Willard: 3 février 1992

épo : Enseignant en histoire à Vincennes.

actu: Enseignant en histoire à Paris 8.



[1] Il existe toutefois une documentation considérable qu'Assia Melamed, membre du personnel de VIncennes depuis l'origine, a accumulé en vue d'une thèse qu'elle n'a ,en définitive, jamais publiée. Elle est maintenant confiée à l'Association "Mémoires de 68". J'en ai largement profité.

2  Dans la suite du texte, Vincennes sera utilisée au féminin, faisant référence à l’université expérimentale, pour différencier ce mot de celui qui désigne sa ville d’accueil.

 

3 Administratifs, Techniciens, Ouvriers de Service (ATOS)

4 Direction  des Equipements Sportifs Scolaires et Universitaires (DESSU)

5 Groupe d'Etudes et d'Entreprises Parisiennes (GEEP)

6 En vacances sur la Côte d'Azur au démarrage du projet, ce qui fera, de fait, de Paul Chaslin le principal concepteur; c'est lui qui fait les plans.

7 Direction des Equipements Sportifs Scolaires et Universitaires (DESSU)

8 Service Constructeur de l'Université de Paris (SCUP)

9 Administratifs, Techniciens, Ouvriers de Service (ATOS)

10 Pour tout ce paragraphe je me suis en grande partie inspiré du livre de Michel Beaud (cf bibliographie)

II Centre Universitaire Expérimental de Vincennes (CUEV)