l’engagement
bénévole des étudiants
Dan
Ferrand-Bechmann
Les étudiants de l’Université Paris 8 ont des
caractéristiques particulières. Ils sont plus souvent d’origine étrangère que d’autres
étudiants d’autres Universités ou de grandes écoles. Ils sont à la fois
conscients d’une image qui peut paraître négative de leur Université mais aussi
fiers de sa richesse interculturelle, de son originalité et de son histoire
venue de Vincennes. Ils aiment leur Université avec une tendresse que l’on a
pour une vieille dame un peu fragile à qui il faut beaucoup pardonner. Peut
être beaucoup s’y sentent-ils bien car
ils se sentent étrangers dans des Universités moins ouvertes à la différence et
à des parcours peu standards. Ils y sentent un grande liberté et de la part de
certains enseignants un « non directivisme ».
« Paris 8 est une fac un peu particulière où
c’est à toi d’aller chercher le savoir, on va pas te l’apporter. Chacun fait
avec ce qu’il a envie d’y mettre dedans mais c’est intéressant de pouvoir faire son marché. » (CD)
Leurs modes d’engagements et les associations qui
existent à l’Université de Paris 8 sont donc spécifiques. Ils reflètent des
solidarités venues d’ailleurs, des modèles de socialisation et d’entraide
issues de traditions que l’on rencontre dans les pays du Maghreb et l’Afrique
de l’Ouest. Ils sont soucieux de faire vivre et de montrer d’autres éléments
culturels et artistiques autour de la musique, de la danse, de la littérature.
A l’œil de celui qui débarque dans les locaux du campus, le foisonnement des
affiches, des stands, des étals rappellent un peu le souk et l’effervescence de
la vie dans la rue d’une métropole du Sud ou d’une île domienne. S’y mêle
quelquefois une odeur de nourriture ou le son d’une musique venue d’ailleurs. A
ceux qui n’ont pas de grands logements, ni de familles, les espaces du campus
proposent un lieu de vie qui se remplit au gré des cours, des vacances et des
évènements festifs ou politiques.
Les étudiants de l’Université de Paris 8 ont à la fois
une attraction forte vers une vie associative ou tout simplement vers une
socialisation « in situ » et en même temps il leur reste souvent peu
de temps pour s’y consacrer car leur vie est faite de petits boulots, de leurs
familles et des longs transports en région parisienne.
Ces quelques
pages ont été suggérées par des entretiens effectués par des étudiants de
second cycle[1] auprès
d’autres étudiants engagés dans des associations de l’Université Paris 8 ou
pour quelques uns ailleurs. C’est un résumé de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils
avouent plus ou moins timidement sur leurs parcours associatifs, les influences
familiales et celles de leur pays d’origine, sur leurs motivations et leurs
passions, leurs démotivations, leurs pratiques et leurs expériences concrètes.
Nous avons voulu montrer les effets de leurs engagements sur leurs parcours et
leurs réussites et échecs universitaires, les bénéfices qu’ils en tirent et ce
qu’ils apportent ainsi à la communauté universitaire et à son
environnement. Mais nous insistons
aussi sur les problèmes et les obstacles qu’ils rencontrent avant d’esquisser
une typologie des associations et des étudiants.
Une autre dizaine d’entretiens a été faite par une
jeune chercheuse et sa meilleure technique, sa motivation et le choix
d’interroger des leaders mais aussi des étudiants sélectionnés au départ par
leur expérience associative pour faire un dess ont donné un tableau différent
où les traits caractéristiques de la population de l’Université Paris 8 sont
accentués par rapport à ce que nous présentons ici[2].
Dans cet échantillon particulier et majoritairement
composé de personnes ayant travaillé ou étant encore salariés, on y voit
combien les parcours militants et professionnels, étudiants et bénévoles
s’entrechoquent et s’emmêlent en s’enrichissant continuellement. De manière paradoxale, les étudiants ont
cependant parfois pâti de cet engagement car ils ont beaucoup donné en temps et
même en salaires pour certains pour maintenir des projets auxquels ils tenaient
de par leur histoire propre ou de leur origine. Ils n’ont pas de très bonnes
situations mais ils ont de grandes satisfactions et en tous cas leurs parcours
leur ont permis de franchir des étapes universitaires par le biais de
l’expérience. Beaucoup ne peuvent pas séparer engagement associatif, engagement
citoyen et profession.
Un entretien résume à la fois la difficulté de
l’expérience associative et sa
richesse :
« Ca
me permettait aussi de rencontrer pas mal de monde, de participer à des débats,
à des discussions. Ca me prenait mon temps et j’y trouvais du plaisir et ça m’a
appris beaucoup de choses sur le plan de l’oral, de la discussion, défendre son
point de vue, comment convaincre, aborder les gens (…) avoir un problème,
essayer de le résoudre. C’est très important, avoir l’esprit de l’écoute,
interpréter des textes (…) Ce sont des connaissance que j’ai acquises dans la
pratique, à partir de l’association, il y a beaucoup de savoirs, de compétences
que tu acquiers à partir de ça : rendre un verdict, prendre une décision,
l’assumer, assumer sa responsabilité (…), en tant que président et parfois le
bureau n’est pas solidaire à la décision (…), malgré les menaces, malgré les
insultes. La prise de responsabilité c’est très important, et là on te donne
pas des trucs et des astuces mais c’est dans la pratique que tu parviens à te
forger (…). Donc la connaissance de l’autre, la rencontre des gens, certains
qui trahissent…donc c’est le monde en miniature (…). » (CD)
Parmi ce groupe particulier d’étudiants salariés, nous
trouvons des profils typiques de ceux qui ont eu des engagements associatifs
dans un ou plusieurs grands mouvements ou
famille de l’éducation populaire. Ils ont un passé associatif qui se
conjugue à, plusieurs moments de leurs vies et ils sont désireux de redonner à
d’autres ce qu’ils ont reçu.
« ce qui me motive d’abord c’est un projet
associatif, rendre ce que le mouvement a pu m’apporter, j’ai découvert un
certain nombre de choses (…) et tu as envie que ça se perpétue pour d’autres
(…) pour que d’autres jeunes deviennent responsables et que le mouvement
continue » (CD)
Nous avons peu d’indications sur les parcours
associatifs antérieurs des étudiants probablement parce que pour beaucoup, leur
engagement à l’Université Paris 8 est une initiation et une entrée dans la vie
associative.
« J’ai vu différentes affiches, j’ai voulu
adhérer à une association pour faire du soutien scolaire, j’hésitais entre une
activité bénévole et une activité rémunérée. » (VD)
Passer d’une
association à une autre peut être une conduite possible et l’association
sportive est une première étape. On y découvre la vie associative et le passage
d’usager à bénévole actif à l’occasion d’une fête ou d’une manifestation.
« On
s’implique dans la vie de la maison, on donne un coup de main aux animateurs et
« petit à petit on se sent investi de certaines responsabilités et
chemin faisant on ne se retrouve plus public animé mais animateurs. » (CD)
Nous n’avons pas souvent remarqué une influence
familiale, rares sont ceux qui disent que leurs parents étaient engagés ou
qu’ils les avaient influencés. L’un d’entre eux note cependant à propos de
son grand-père syndicaliste actif:
« Parfois je pense à lui, même si cela n’a rien à
voir avec ce qu’il faisait, ce ne sont pas les mêmes principes, mais c’est la
même énergie. Je pense que c’est une continuité. » (BK)
Un autre dit que c’est sa mère qui lui a donné envie
de s’investir : « Elle m’a transmis son délire »
Nous avions vu dans notre étude sur le réseau national
junior associations[3], que
l’influence familiale sautait souvent une génération. Les grands parents sont
plus souvent vecteurs de modèles associatifs ou altruistes que les parents.
Certains montrent que leurs familles voyaient leur
engagement d’un mauvais œil et qu’ils n’ont eu aucun soutien de leurs parents
plus inquiets de les voir réussir dans leurs études. D’autres ont remarqué
l’évolution de leurs parents qui reconsidèrent leurs positions et deviennent
complices de leur action.
L’un des étudiants interrogé a dit :
« mon père était ignorant (sic), mais mon frère instruit avait fondé une
association dans son village ».
Un autre a affirmé que personne de son entourage ne
l’a influencé pour s’engager mais « il donne son temps pour arriver à des
fins qu’il estime importantes pour sa formation et pour des compétences extra scolaires. »
Et pour d’autres la question ne se pose pas, dans
leurs pays il n’y a pas d’association ou très peu. Ce qui à notre sens ne veut
pas dire qu’il n’y ait pas d’entraide et de solidarité, bien au contraire. Dans
de nombreux pays du sud les activités sont indifféremment sans rémunération,
avec … dans un réseau familial ou villageois et notre sémantique du bénévolat
est barbare !
Il est clair que les ressources moyennes des
étudiants, l’obligation de travailler, le fait d’avoir une vie de couple et
même des enfants ne permet pas toujours une vie associative. « C’est
beaucoup de temps », disent
certains. Mener de front études, vie privée et engagement est difficile.
C’est un des premiers obstacles à l’engagement.
D’autres se plaignent de l’indifférence ambiante et se
montrent déçus. C’est un second obstacle, la vie associative n’est pas
tellement visible pour les nouveaux arrivants à l’Université.
Nous n’avons pas entendu les étudiants non engagés, ce
qui nous prive du droit de conclure sur les raisons d’une certaine inertie.
Quelles sont les motivations
de ceux qui imaginent, initient et font vivre les associations ?
Il y a des raisons égoïstes et d’autres plus
altruistes. Agir dans une association apporte des satisfactions personnelles et
répondre à des situations difficiles et même déprimantes mais peut être aussi
le désir d’aider les autres et d’être utile, de rendre un service.
Mener un projet quand on sait qu’on l’abandonnera d’autres quand on aura réussi ses examens
nécessite une bonne dose d’altruisme et de motivations.
Beaucoup disent qu’on s’engage davantage dans une
association que pour une cause politique. « Pour donner du sens à leur
temps » (BK).
Le temps libre ne semble pas manquer à tous les
étudiants, les entretiens en témoignent.
« J’avais du temps libre, j’arrivais à m’organiser.. »
Deux heures de temps comme le demande l’AFEV semble un
régime raisonnable.
D’autres parlent franchement de désoeuvrement.
L’association et le bénévolat permettent d’occuper son temps.
Leurs objectifs sont nombreux mais visent globalement
la réduction des inégalités.
Les étudiants parlent de conscience politique et de
lutte pour l’émancipation et contre toutes les formes d’exclusion.
« Lutter contre le communautarisme » est un mot d’ordre, une phrase que nous avons
souvent entendue.
« S’enfermer dans le communautarisme, c’est en
quelque sorte rejeter l’autre, cela empêche d’échanger, de progresser, cela a
un effet réducteur » (SM)
« Je préfère faire du bénévolat que d’être
rémunéré » ont dit certains étudiants et il ne s’agit pas d’étudiants
favorisés pour la vie est facile … mais le bénévolat leur apporte des
satisfactions et du plaisir.
Le militantisme chrétien ou musulman existe toujours,
puisque certains étudiants nous ont dit « c’est né de l’Eglise, c’est
plus neutre, c’est pas politique » (SF).
Pour un étudiant de culture musulmane « c’est un
engagement de vie spirituel et non matériel ».
La définition du bénévolat tourne souvent pour les
étudiants au fait de donner son temps pour quelque chose qui semble très
important sans en attendre de contre partie.
Ils parlent aussi d’un enrichissement culturel et des
contacts.
« L’expérience associative permet de faire la
preuve de son professionnalisme » (SM)
L’AFEV qui offre une formation semble être un bon
modèle que les étudiants aiment bien.
Pour beaucoup faire du soutien scolaire c’est se
préparer à l’IUFM[4].
« C’est toujours une expérience supplémentaire
pour intégrer l’IUFM, c’est parallèle à ce que je veux faire » (VD).
Une étudiante a dit qu’elle voulait créer la même
association dans son pays.
Pour ceux à qui le bénévolat
permet d’avoir un emploi dans le mouvement associatif, c’est une source de promotion sociale non
négligeable, à la fois sur des aspects professionnels et d’autres extra
professionnels.
Le mot passion revient souvent ou plus simplement « J’ai
bien aimé », quelque fois le mot joie est employé.
« Quand on se sent heureux c’est la meilleure rémunération » (MT)
Un étudiant est venu à l’Université de Paris 8 pour le
rugby !
« Ici on joue en association sportive, c’est plus
compétitif qu’à Toulouse » (OH)
« Mais
mon vrai engagement associatif lourd,
c’est ‘d…’. C’est là où j’ai réellement pu construire des projets
d’animation qui me tenaient à cœur et vivre avec passion un projet social. J’ai
été moteur de la création du projet et j’étais bénévole 2h tous les jours de la
semaine pour faire l’accompagnement scolaire ».
Les étudiants se sentent souvent exclus de la vraie
vie et dans leur engagement associatif ils trouvent une nouvelle définition
d’eux-mêmes par leur identité militante. Ils se sentent soudain plus utiles
socialement et ce sentiment retentit sur leur propre image d’eux-mêmes.
« On se sent vraiment utile après notre
intervention, on se sent utile et solidaire » (VD)
« J’ai pas besoin d’amis ici, je veux juste
aider » (SF)
Au-delà de l’aide qu’ils apportent à leurs camarades
étudiants, beaucoup aident des ressortissants de leurs pays dans les démarches
administratives, l’apprentissage du français etc.
« Utiliser son expérience de vie, la chance qu’on
a eue »
« On
est des grands frères »
Rendre par le
biais de la communauté universitaire ce qu’on a eu la chance de recevoir semble
être une motivation capitale. D’où le choix des bénéficiaires de son aide et de
son action.
« Le seul recours pour les étudiants ignorant le
système français est de s’inscrire dans une association. «
Les motivations sont éthiques mais aussi pratiques et
individualistes.
« J’espère
que cette association me permettra de renforcer les contacts (réseaux) futurs
et de rester en relation » (CF)
Sortir de la solitude est une motivation qui va
provoquer l’engagement.
« Souvent plongée dans l’anonymat la vie
étudiante est difficile. Le fait de me rendre à cette association m’a aidé à
tisser des liens, m’a extirpé de l’isolement. Je voulais prouver que je pouvais
apporter aux autres autant qu’ils m’apportaient »
Une autre étudiante dit qu’elle s’est attachée aux
enfants, bénéficiaires de son action.
L’engagement est souvent basé sur une communauté
d’intérêts ou d’origine géographique qui va délimiter les contacts et qui se
construit sur le désir de partager sa culture et ses traditions et de donner
une autre image de son pays.
« Faire
des recherches sur la linguistique, l’épistémologie berbère » (AB)
Une autre motivation que des filières et des
universités ont su valoriser est la validation de l’expérience dans un module
et une note pour un diplôme. Mais à ce niveau là l’Université Paris 8 n’est pas
dans le peloton de tête, disons même que c’est un sujet difficile à mettre en
lumière. Le DESS de l’UFR 8 pratique la valorisation dans sa sélection et même
dans les modules à valider et combien d’expériences de bénévolat deviennent des
stages.
« C’est reconnu par l’Education Nationale »
dit l’une des étudiantes qui intervient à l’AFEV.
Un autre a déclaré « mon expérience associative
m’ a permis d’ouvrir la porte de la fac, de part les connaissances et la
pratique j’ai pu accéder à une licence ».
La description des pratiques associatives est faite
dans une autre note qui synthétise les fiches qui nous ont été rendues et qui
décrivent les associations et leurs objectifs. Mais quelques renseignements
impressionnistes nous sont livrés par petites touches.
Selon Guillaume Houzel[5],
on distingue trois postures d’engagés étudiants. Le représentant, l’intervenant
et l’entreprenant.
Le représentant serait celui qui, sensible aux questions
statutaires, assume un rôle de gestion ou une parole collective. Différent des
motivations qui prédominent actuellement, il se veut participant d’un ensemble
articulé à des dimensions institutionnelle et administrative. Son engagement
s’inscrit fondamentalement dans un système organisé, au point parfois de
prendre de la distance avec les sujets opérationnels.
L’intervenant
sensible à des valeurs et des principes humanistes, se méfie des généralités et leur oppose des actions concrètes,
immédiatement utiles. Il n’est pas toujours adhérent de l’association qui porte
l’activité à laquelle il contribue. Il donne de son temps et de ses compétences
pour une cause pratique qui le séduit.
L’entreprenant quant à lui prend l’initiative et la responsabilité
d’un projet aux ambitions souvent limitées. C’est celui qui crée une association
dans une logique d’initiative plutôt que dans une logique de positionnement
social. Souvent motivé par une passion ou la recherche d’une expérience bien à
lui, l’entreprenant sait qu’un projet est un tout et qu’il ne faut négliger ni
la définition des intentions, ni la recherche de financements, ni l’animation
de l’équipe opératrice, ni la communication, ni même le bilan final pour jouer
le jeu jusqu’au bout avec ses partenaires
La palette de leurs actions est immense et va de la
défense des ses propres intérêts à ceux de son groupe de pairs, à des actions
proches ou lointaines géographiquement parlant et à des activités plus ou moins
altruistes.
Nous pouvons citer quelques exemples d’actions
directes ou indirectes.
·
Aider les étudiants dans
leur entrée à l’Université.
·
Réunir des étudiants
d’une même origine
·
Développer des lieux de
discussions
·
Organiser des voyages
·
Mener des actions de
sensibilisation, par exemple contre la toxicomanie, contre le cancer du sein
pour l’association « FAB » (femmes action banlieue).
·
Défendre un diplôme et
une filière
·
Faire du soutien
scolaire « dans les quartiers, y en a qui sont très intelligents mais il
faut seulement leur donner les moyens » (SF)
·
Changer l’image d’un
pays, d’un groupe social.
·
etc
Beaucoup se plaignent d’absence de local et
d’insuffisance d’affichage. Mais les nombreuses activités organisées et les
budgets obtenus témoignent quand même d’une action de l’Université vers ces
associations. Leurs membres en témoignent avec vigueur.
D’autres évoquent la question de la valorisation et de
la validation.
Tous disent qu’ils acquièrent une expérience
« C’est une expérience préprofessionnelle, même
si c’est du bénévolat ».
C’est un moteur pour la vie future et une profession
en devenir.
Cela leur donne le sens des responsabilités et de
l’organisation.
Cela t’a apporté quoi ton engagement associatif ?
« D’ouvrir mon champ de réflexion, d’ouvrir, de
faire de l’histoire sans aller en cours d’histoire (…) d’être confronté à
d’autres points de vue, d’autres visions du monde, d’apprendre des autres
langues, d’apprendre des traditions nouvelle, à tous niveaux, culturels,
artistiques, il y a une ouverture et de la tolérance. » (CD)
L’objectif principal des associations est de faire la
solidarité.
« Les étudiants et les lycéens estiment que l’on
s’engage dans une association avant tout pour défendre une cause, des idées,
pour aider les autres, et pour faire progresser la société »[6].
Un objectif secondaire est la conduite d’activités culturelles,
sportives etc. mais souvent un second objectif va se surajouter avec un
engagement solidaire. La vie en association apprend la vie en équipe et le
respect d’autrui. Les associations sportives en particulier. Mais un étudiant a
dit que quand il travaillera « il aura acquis des valeurs et appris les
règles »
« Cela permet de décompresser, de former un
groupe solidaire » (NKB).
La solidarité, la fraternité, l’entraide sont des
valeurs qui reviennent avec constance dans le discours des étudiants. La
laïcité est une idée sous jacente à plusieurs entretiens.
L’égalité des chances et la laïcité sont des valeurs
citées « les associations ont un rôle à jouer pour garantir
l’égalité des droits et un discours modéré» (RZ).
La lutte contre le racisme, la discrimination et
l’intégrisme est un des objectifs de nombreuses associations étudiantes en
particulier à l’Université Paris 8. Les entretiens faits auprès d’étudiants
engagés dans le mouvement « SOS Racisme » et dans l’association
« Ni Putes, ni Soumises » le montrent très clairement mais ceux dans
d’autres associations également. De longs fragments sont consacrés à la
descriptions des actions pour dénoncer les pratiques discriminatoires des
boites de nuits et celles des employeurs ou des propriétaires.
« A la fac de Paris 8 la lutte contre le racisme,
l’antisémitisme et le sexisme restent presque un tabou » se plaint pourtant une étudiante fortement
engagée et décidée à relancer le débat. Car si l’engagement est fort sur ce
thème c’est qu’il y a bien des questions qui restent dans l’ombre et que la
peur du communautarisme plane. Le nombre de jeunes femmes portant des voiles a
augmenté sensiblement et les discussions à propos des associations dans les
pays de culture musulmane ont été vives et témoignent de l’importance de la
question. Se heurtent ceux qui font de la France un modèle de démocratie et se
plaignent du manque de libertés dans leurs pays d’origine et ceux qui réclament
davantage de respect des traditions religieuses en cours dans leurs pays quant
à la répartition des rôles des hommes et des femmes.
Mais dans l’ensemble, on défend sa culture d’origine
dont on est fier en la faisant connaître et reconnaître. Une hypothèse de
résilience nous semble tout à fait fondée. Quant on a été victime de racisme ou
de discrimination, on s’engage avec d’autant plus de force.
« Mon engagement c’est réhabiliter la culture
antillaise, parce qu’il y a beaucoup de préjugés et beaucoup
d’incompréhensions» (AL)
Les associations dont on nous avait dit qu’elles
étaient renfermées sur elles mêmes ont
semble t-il des objectifs clairement affichés d’aide à tous les étudiants
candidats à l’entrée en fac. Un étudiant sans papier, sans logement, sans
inscription va y trouver des aides attentives et un marche pied vers une
intégration universitaire. Ceux qui y sont bénévoles y trouvent un réseau de
connaissances.
« J’apprends le français et la sociabilité
» nous ont dit certains. Mais que cela soit du côté des musulmans comme du côté des
chrétiens beaucoup notent les rencontres qu’ils ont fait avec d’autres
religions et d’autres cultures et traditions. Les associations sont souvent
fermées sur elles même mais elles peuvent aussi avoir un effet de rencontre
avec des personnes d’autres horizons culturels et religieux.
« Cela m’intéresse car étant donné que je suis
musulmane pratiquante et bien j’aime comparer les deux religions… l’aide que
fournissent tous ces chrétiens à beaucoup de musulmans m’a énormément
touchée » (MT)
Beaucoup d’étudiants veulent changer l’image de leur
culture mais d’autres veulent la faire connaître et la faire aimer et en
augmenter l’impact.
Certaines associations dépassent leurs objectifs de
défense d’une culture pour aller vers d’autres et se solidariser.
Les bénéfices sont réels tant dans une formation
préprofessionnelle et de citoyenneté active que dans des bénéfices secondaires
non monétaires. On bénéficie d’échanges à tous les niveaux.
Apprendre à travailler en équipe et à gérer les
conflits est un des avantages de la vie associative et la confrontation d’idée
et de points de vue est une clé d’apprentissage.
La vie universitaire, le métier d’étudiant obligent à
gérer son temps et peuvent induire un certain laisser vivre ou laisser aller
alors que l’engagement bénévole va créer des obligations et donner de l’énergie
pour
mener de front les projets studieux et les projets
associatifs.
L’association lie et délie et est porteuse d’un esprit
communautaire.
« C’est une façon de se sentir rattaché à
l’Université, autour de cette action commune ; Cela favorise le sentiment
d’appartenance. » (MM)
« C’est une façon de s’intégrer, je vis mieux
l’ambiance universitaire » On
pense alors aux guildes anciennes et aux clubs d’anciens des grandes écoles.
Cette remarque est paradoxale avec un des effets
contradictoires de nombre d’associations, celui de la désolidarisation. Mais
comme toute organisation humaine faite d’interactions contradictoires,
l’association relie et délie.
Créer une communauté universitaire passe par la vie
associative où chacun choisit son action et donc ses associés et par là se
relie à l’Université.
Sur l’Université les associations rendent de
nombreux services et gèrent des activités de médiation et de soutien. Peut on
parler de délégations de services, doit on les encourager ?
Beaucoup disent que l’association rend des services
pour initier les étudiants à la vie universitaire, les familiariser, les
soutenir dans leurs démarches…
Chacun apporte ce qu’il a dans sa besace, l’une des étudiants
donne des cours d’informatique car elle est en maîtrise infocom . Une autre
corrige les travaux de ses camarades.
Même les associations culturelles ont des actions
latentes ou manifestes qui sont sociales.
En particulier les associations de filières (psycho,
divers dess, arts…) sont surtout des groupes d’entraide qui soutiennent leurs
membres l’année ou les années où ils font leur formation. Les étudiants sont
alors usagers et producteurs de services aux personnes. Ils peuvent ainsi se faire aider dans leurs
travaux sur certains points tandis qu’ils aident leurs camarades sur d’autres
points.
« On se sert de son expérience propre pour guider
les autres » (IK)
On donne et on reçoit dans les groupes d’entraide et
cette action et cette manière d’agir semble correspondre aux modes de vie et
aux modèles étudiants.
Les associations qui défendent une culture, même de
manière large par rapport à divers territoires, ont aussi cet effet d’entraide.
« C’est parce que j’ai connu cette situation que j’ai envie d’aider ceux
qui arrivent et de les aider dans leurs démarches » (AL)
Pour durer il faut se professionnaliser, c'est-à-dire
acquérir des compétences qui correspondent à ce qu’on leur demande dans une
association. Cela plaide pour des formations de bénévoles étudiants.
Le courrier électronique semble modifier les types de
relation entre les personnes en multipliant les relations à distance. Il est
possible que les associations se transforment de ce fait. L’Université Paris 8
est un lieu de vie dans lequel une partie des étudiants sont très présents
physiquement. On peut faire l’hypothèse d’un développement d’associations à
distance et d’autres associations à relations proches. Encore faudrait-il
multiplier les points informatiques libres et gratuits.
Les associations défendant une communauté ou des
étudiants d’une même origine ont un effet et un impact double, celui de
permettre à ces étudiants de rompre leur solitude mais aussi probablement de
les isoler ou même de créer des cellules communautaires. L’effet de solidarité
a son verso la désolidarisation d’où l’importance de susciter des projets
transversaux.
Les étudiants d’origine étrangère nombreux à
l’Université Paris 8 font du bénévolat pour rembourser une dette sociale mais
aussi pour aider les jeunes qu’ils appellent défavorisés « pour renvoyer
l’ascenseur a un autre élève qui j’espère plus tard fera de même avec un autre
élève » (FJ). Leurs expériences spécifiques de vie les entraînent dans des
chemins associatifs souvent particuliers et leurs engagements dans des
associations défendant des cultures comme celles présentes dans le Maghreb ou
les DOM TOM ou luttant contre la discrimination en sont la marque.
« Par exemple il faudrait créer une association
dans chaque département car les étudiants d’un même département ne se
connaissent pas, pour inciter les étudiants à se rencontrer et créer des choses
ensemble, par exemple les étudiants en art. « Ca créerait un
dynamisme et chacun dans son coin, il peut donner, la seule façon de regrouper
et de faire travailler tous les étudiants ensemble (…) Il y a un manque d’information,
de dialogue, c’est ce qu’il faut changer »
Nous avons vu des engagements très divers. 3 types de
bénévoles : ceux qui viennent pour découvrir l’association et s’en vont.
Ceux qui viennent deux ou trois fois par an « pour soulager leurs
consciences ». Ceux qui s’engagent.
Les affiliations associatives des étudiants sont
probablement comme celles de leurs aînés, des alternatives à des engagements
politiques et résultent de l’affaiblissement de la sphère syndicale.
Entrepreneurs de morale et de valeurs plus que de mobilisation, les étudiants
viennent pour agir et apprendre à agir. Ils ne sont pas nombreux dans les
grandes associations bureaucratiques traditionnelles, car ils sont plus
intéressés par une action locale et concrète en particulier d’aide aux autres étudiants.
Mais peut être celles çi comme le Secours Populaire, le Secours Catholique, les
grandes associations d’Education Populaire n’ont pas su les attirer et il y a
là un chantier d’importance.
Les étudiants ne font pas de « zapping » ni
de plurimilitantisme même si leur adhésion et leur participation peuvent être
fluides. Leur engagement souvent lié à une identité précise et à une histoire
de vie explique que là où ils s’engagent, là ils restent.
Nous avons peu entendu de récits de conflits ou
d’histoires de pouvoir personnel.
Table des Matières
Spécificité de l’Université Paris 8
Démotivations et obstacles à
l’engagement
Acquérir de l’expérience et une
formation.
Etre utile et se sentir utile,
acquérir une autre estime de soi. 3
Avoir des contacts dans le
présent et dans le futur
Ce que leur donne l’Université Paris
8 et ce qu’ils réclament?
Effets positifs sur les étudiants
L’engagement associatif apporte une
expérience.
L’engagement permet de mettre en
œuvre des valeurs
Les associations donnent des
bénéfices concrets.
Effets positifs sur
l’Université, l’environnement et les
étudiants
Certaines associations sont des
groupes d’entraide
D’autres associations sont quasiment
des forteresses vides et aux mains d’une ou deux personnes.
[1] Nous
notons, quand nous citons des phrases dites par les interviewées, les initiales de l’auteur de l’entretien.
Dans l’ensemble il s’agit d’entretiens très bruts, plus directifs que non
directifs et brefs mais ils apportent un matériau varié et original.
[2] Recherche Gruntvig sur « former sans exclure » travail de Charlotte Demettre qui va être publié à l’Harmattan dans un ouvrage collectif sous ma direction sur « la sociologie de l’engagement »
[3] Etude sur
le Réseau National Juniors Associations
CESOL 2003 et publié en anglais en avril 2004 par la city Université de Hong Kong
[4] Voir
notre étude de 2000 sur l’AFEV. Notre étude pour l’AFEV se focalisait sur le
fonctionnement de l’association, sa coordination et sur le vécu de ses troupes.
Paradoxe absolu : regarder comment des jeunes sans qualification
pédagogique particulière réussissent ou ne réussissent pas à compléter l’action
de spécialistes professionnels reconnus! « Motivations et engagement des
étudiants bénévoles à l’AFEV » Rapport CESOL, (Centre d’Etudes des
Solidarités Sociales) avec P.Morlet et J.P Masse.