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texte d'orientation rédigé par les initiateurs de la liste Gardarem pour les élections du 1er mars 79

 

 

 

                                                                                                                                           GARDAREM VINCENNES

 

 Quel Vincennes ?

 

Nous refusons de nous limiter à des acquis de plus en plus précaires : nous entendons réaffirmer le projet fondamental de notre université.

 

Le terme fondateur de ce projet est l'ouverture : à la fois possibilité d'accès pour les étudiants non traditionnels, et insertion de la pédagogie et de la recherche dans les réalités sociales. Plus que l'étude du monde du travail, que l'attention aux minorités, que l'analyse du tiers monde et des stratégies planétaires, bref que l'apparition de nouveaux centres d'intérêt, cela signifie : réciprocité de la transmission des savoirs, disparition des règles figés, prise en compte de la diversité des demandes (curiosités variées, soifs de savoirs et de rencontres, aussi bien que recherche de diplômes monnayables).

 

Le projet vincennois, à ce titre, est un projet social : par remise en cause des hiérarchies, et donc des statuts, dans un échange généralisé à partir des démarches antérieures de chacun, dans le domaine des cultures, de la connaissance ou de l'expérience sociale. A Vincennes, plus qu'ailleurs, les frontières peuvent s'estomper entre prestataires et utilisateurs de service, entre différents types de services : administratifs, pédagogiques, sociaux, etc.

 

Il est aussi un projet actuel : Ni la défense d'intérêts corporatifs, ni la proclamation du caractère sacré de la culture et de la recherche ne suffiront à faire échec à la réorganisation de l'enseignement supérieur prévue par le ministère. L'université n'a pu suivre l'évolution socio‑économique ; elle est supplantée par les grandes écoles comme passage obligé vers les postes de décision ; elle n'a plus à former qu'un nombre réduit d'enseignants du secondaire et de chercheurs. Pour certains étudiants, elle n'est plus qu'un refuge transitoire où l'on attend de pouvoir entrer dans les écoles spécialisées. Elle est ainsi placée devant l'alternative : soit, avec des effectifs et des moyens réduits, disputer à ces dernières leur prédominance dans le domaine des formations courtes, soit donner à son rôle de garderie‑recyclage un nouveau contenu.

 

L'affluence des étudiants, l'attachement de tous ceux qui ont participé à l'expérience, la violence même des attaques gouvernementales : autant de preuves que ce projet participe d'une réponse à des besoins réels, profonds, que Vincennes a contribué à révéler. Un éventail extrêmement ouvert de relations pédagogiques et d'enseignements, y offre des possibilités multiples de regroupements, permettant de répondre aux demandes les plus diversifiées ; le passage incessant de la recherche théorique à la prise en compte des réalités et des diversités y interdisent la fermeture sur un savoir constitué, vite dépassé, et permettent de proposer aux travailleurs l'acquisition continue de nouveaux outils intellectuels, qui seule permet une insertion critique dans le tissu social.

 

Ce projet est en butte à des attaques convergentes, internes et externes, dont certaines font partie de l'offensive générale du ministère contre l'enseignement supérieur. Elles sont particulièrement dures pour Vincennes qui symbolise dans ce domaine tout ce que l'actuel gouvernement veut faire disparaître.

 

 Face à ces attaques, nous défendrons :

 

1) les catégories les plus exposées : Après les personnels isolés (associés, lecteurs, chargés d'enseignement) le ministère s'en prend aux moins intégrés dans la fonction publique (assistants, vacataires). A ces mesures s'ajoutent les menaces de licenciement des personnels non titulaires lors d'un éventuel transfert. Parallèlement, les étudiants étrangers sont filtrés (préinscriptions, attestation de ressources élevées), et l'on est passé de deux à trois ans d'activité salariée exigés pour les non bacheliers.

 

Défendre ces catégories n'obéit pas simplement à une préoccupation de justice ou de solidarité : sans elles Vincennes n'existerait pas.

2) Un fonctionnement différent.

 

‑ Dans une pédagogie ouverte, prenant en compte les apports et les problèmes des individus, les étudiants participent à l'élaboration collective d'une réflexion ou d'un savoir. Ils doivent pouvoir, avec les enseignants, contrôler et évaluer les démarches contribuant au progrès de cette élaboration. Ceci exclut la référence à un hypothétique niveau absolu, et toute forme de compétition institutionnalisée ; elle exclut une forme d'enseignement hiérarchisée.

 

L'introduction d'un pourcentage quelconque d'examens se situe à l'opposé de ces principes. Nous refusons la généralisation des notations chiffrées, qui pèsent alors d'un poids prépondérant dans les relations pédagogiques. Il n'est pas possible de la circonscrire à certains secteurs sans restreindre les possibilités de choix, et par là l'interdisciplinarité : une fois introduite, la quantification prolifère et se systématise.

 

En tout état de cause, les signataires de cette plate‑forme s'opposeront à toute contrainte uniformisatrice dans le domaine pédagogique, et à toute atteinte à la pluridisciplinarité.

 

‑ Dans un type de relations sociales où les fonctions et les catégories sont moins séparées qu'ailleurs, et les hiérarchies remises en cause, il serait vain de nier l'existence de problèmes de fonctionnement, de divisions catégorielles et idéologiques, de discriminations, d'exploitations. Vincennes n'est pas isolé de la société globale. Résoudre ou atténuer ces conflits ne peut s'y faire en imposant un ordre factice.

 

Nous entendons privilégier la discussion, l'autonomie des différents ensembles, le respect de la différence, et la lutte pour les objectifs communs.

 

3) L'unité organique de l'université.

 

Elle est menacée par les projets de déménagement : si à Saint‑Denis on ne prévoit que les 2/3 de la surface pédagogique actuelle, et la moitié de la surface administrative, c'est que l'on veut soit nous entasser ‑ et nous décourager ‑ soit faire un tri. Si les services sociaux ne sont pas mentionnés dans le projet, c'est que l'on ne veut plus de chômeurs ou de mères de famille. Si l'on se propose de gaspiller 15 milliards dans un déménagement absurde, c'est pour en profiter et faire disparaître les gêneurs.

 

Elle est menacée aussi ‑ il faut le dire ‑ de l'intérieur. Sont apparues çà et là des stratégies visant éliminer des fonctionnements, de tous ordres, perçus comme "peu présentables" à l'opinion. Ce genre d'appréciation introduit des clivages manichéens et nie l'hétérogénéité féconde de Vincennes : chaque bloc se définissant par la désapprobation morale et le mépris de l'autre. On débouche alors sur des tactiques du type "chacun pour soi".

 

Les actions pour "Vincennes a Vincennes" le "droit à ta différence" et le refus du démantèlement doivent être relancées par une mobilisation accrue et des initiatives multiples.

En tout état de cause, nous n'accepterons aucun licenciement, aucune disparition de poste, de formation ou de service, aucune atteinte à t'unité organique de Vincennes autour de son projet social et pédagogique.

 


 

                                           LE BALAYEUR ET LE PRÉSIDENT

 

La lutte a été interrompue, en novembre et décembre 1978, par une crise dont il est indispensable d'analyser les origines et les conséquences.

 

1) A un premier niveau, elle s'est présentée comme l'opposition entre deux tendances défendant des conceptions antagonistes de l'université.

                 

‑ D'un côté, tous ceux qui ressentaient la politique de gestion interne comme une fragilisation supplémentaire des personnels ATOS, étudiants étrangers et chargés de cours, dans le contexte inquiétant de la menace de transfert, et qui refusaient qu'au nom de cette menace et de certaines difficultés de fonctionnement, on fasse de Vincennes une université, voire une entreprise conne les autres.

 

‑ De l'autre, ceux qui se référaient à une université définie principalement par le haut niveau de son enseignement et le lien de celui-ci avec la recherche ; qui affirmaient que les examens pouvaient revêtir un caractère novateur ; qui insistaient sur les devoirs des travailleurs ‑ au nom même de la spécificité de Vincennes ; qui rappelaient les prérogatives du président ; qui condamnaient, et acceptaient que soient sanctionnées des "pratiques indéfendables".

 

S'en tenir à cette opposition serait oublier qu'elle traversait, en fait, les catégories, les instances, et même les individus. La crise doit être rapportée pour être comprise, au fonctionnement de l'institution.

 

2) Participer à la gestion de l'université implique que l'on accepte d'être à la fois mandataire des usagers et représentant de l'autorité. Cette situation conduit à des contradictions. Les responsables n'ont trouvé d'autre moyen d'y échapper que de les nier, et de s'affirmer investis d'un mandat global, non contradictoire, de "bien" gérer l'université, au mieux de ses intérêts.

S'autonomiser de la sorte était d'autant plus facile que l'autorité du ministère est, somme toute, lointaine, et que le contrôle des usagers sur le conseil était des plus réduits : les mouvements contestataires étaient sur le déclin, les commissions se résignaient à une consultation plus formelle que réelle, la masse des enseignants se détachait progressivement de la vie de l'université ‑ partie par confiance, partie par ignorance (souvent volontaire), partie par désintérêt pour des actions dont les principes n'étaient pas les leurs.

Ainsi s'est déclenchée l'évolution vers la centralisation du pouvoir : des responsables dévoués et compétents se trouvent posséder le monopole de la connaissance des dossiers, et donc des décisions, ce qui accentue le désintérêt de la base, qui lui-même renforce et justifie la main‑mise des responsables. Le Conseil (voire le président) apparaissaient ainsi, en dépit de la faiblesse de leur électorat, comme le seul pouvoir réel, et par là seuls bénéficiaires de la lutte menée contre le ministère.

La politique qu'avaient définie les responsables les avaient placés à plusieurs reprises en situation de conflit avec les personnels ATOS. Lorsqu'elle aboutit à des "erreurs" à propos des notations, à des sanctions et à un licenciement, leur mobilisation pour la défense de Vincennes dut s'investir dans leur propre défense à l'intérieur de l'université.

La crise de décembre 1978 a fait apparaître la coupure entre les principaux responsables et ceux dont ils se déclarent les représentants. La démission des enseignants avait entraîné une délégation de pouvoir en cascade. L'impossibilité de se faire entendre par le moyens habituels (grève, pétitions, AG) a abouti au surgissement d'actes individuels de désespoir (grèves de la faim). Auraient‑ils eu un tel retentissement s'ils n'avaient mis en évidence le blocage de l'institution et l'injustice faite aux plus vulnérables ?

 

3) Au sortir de cette crise, nous nous trouvons devant une situation radicalement nouvelle. A travers la violence des affrontements, il est apparu clairement qu'il ne s'agissait plus tellement de responsabilité personnelle, mais d'un processus classique de personnalisation du pouvoir et d'engluement bureaucratique. Parallèle ment se faisait jour de tous côtés le désir d'un renouveau de la mobilisation et de la démocratie.

                                                             LE PARI

 

C'est dans la perspective de cette évolution que se situe notre position.

 

Par le biais des commissions, de responsabilités diverses dans les départements ou les services, la participation à la gestion est déjà pratiquée en fait par nombre de ceux qui en refusaient le principe. Le refus symbolique de participer au conseil n'a pas affaibli l'emprise du ministère, ni le pouvoir des organes de gestion. Aujourd'hui il se révèle que le conseil jouit d'un pouvoir exorbitant et sans contre‑partie. Ses initiatives ont pu bloquer le fonctionnement et la lutte de l'université.

 

Dans une situation aussi grave que celle que nous connaissons, il fallait faire le pari que, entrant au conseil, nous réussirions à inverser le processus de délégation de pouvoir (même s'il est tentant de "faire confiance" à un conseil plus représentatif).

 

Nous faisons ce pari. Il ne pourra être gagné que si l'université est prise en charge par l'ensemble de ceux qui y participent, permettant un autre type de fonctionnement, et d'autres rapports entre le conseil et les diverses composantes de l'université.

 

La gestion ne doit pas être indépendante de la lutte. Il serait naïf de les confondre.

 

‑ il existe une gestion au jour le jour, où l'on est obligé d'appliquer nombre de contraintes administratives, faute d'avoir les moyens de s'y opposer, ou en attendant que la lutte les ait fournis.

 

‑ la politique de gestion se juge à sa cohérence avec la lutte : elle devra atténuer les inégalités entre les individus, les services ou les départements, préserver les catégories menacées, et faire obstacle aux tentatives, internes ou externes, de démantèlement ou de dévoiement du projet d'ensemble.

 

‑ les organes de gestion jouent un rôle dans la lutte : interlocuteurs désignés du pouvoir, ils doivent être à l'écoute permanente des organes de mobilisation pour les seconder et les relayer. Ils n'ont pas à se confondre avec eux.

 

La liste que nous présentons devra prendre en charge l'ensemble de ces tâches. Elle ne peut donc engager la responsabilité d'organisations de type syndical.

 

La délimitation des responsabilités respectives du président et de son bureau (qui exécutent la politique de gestion), du conseil (qui la définit), des commissions (qui l'élaborent), des départements et des services (autonomes à l'intérieur de ce cadre) constituerait déjà une révolution dans le fonctionnement institutionnel de l'université. Ainsi les décisions suivraient les délibérations, toutes informations données, et non l'inverse.

 

Ce renouveau démocratique ne peut être le fruit d'une décision juridique mais d'un engagement collectif.

 

Nous nous engageons quant à nous à transmettre et à recueillir l'information, à provoquer la discussion avant de déterminer notre attitude, aussi bien devant les instances formelles assemblées ou collectifs de départements ou du personnel, sections syndicales que devant les instances informelles qui nous offriront la possibilité d'un débat ouvert à tous. Ces débats permettront, au fur et à mesure des échéances, de juger de l'efficacité de cette tactique. L'issue de cette entreprise dépend de la participation de chacun à l'élaboration et au contrôle permanent de nos positions, à la création d'un nouveau rapport de forces tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'université.

 

Le succès de notre pari dépend d'abord du nombre de voix que nous pourrons faire entendre au sein du conseil. Il dépend surtout d'un redémarrage de la lutte auquel nous ne pouvons faire plus que contribuer.