Testament ...

 

Dans ce département de littérature française que je quitte, ce qui me plait le plus est paradoxalement son archaïsme. Non pas l’archaïsme de la vieille Sorbonne, mais un décalage dans le temps, celui du vieux Vincennes : 34 ans. Comme dans les débuts de Vincennes, nous ne distinguons pas les cours de première année et les cours de maîtrise et de licence, nous ne demandons pas aux étudiants de suivre tel cours sur le moyen âge, sur le 16° siècle, sur le 17° etc. Un cours d’initiation obligatoire au début, des cours et séminaires réservés au DEA. Pour le reste, de la littérature, de la langue, de la linguistique à votre choix, selon malgré tout une proportion à respecter. Et huit cours de choix entièrement libre, sur les 3 ans de licence.

 

Pour faire plaisir aux étudiants ? A certains peut-être, mais la plupart est plutôt terrifiée ; comment choisir, comment sortir de l’obligation confortable de suivre un emploi du temps confortable, une progression logique et raisonnable, où l’on reste entre soi, suivi et paqueté ? Serait-ce pour faire plaisir aux enseignants, qui choisissent l’heure, le jour, le sujet de leurs cours ? Sans doute, mais quelquefois ce serait tellement plus simple de se laisser imposer un cours sans intérêt, mais obligatoire, que l’on a déjà fait depuis dix ans. Ici, il faut faire du nouveau, sur un sujet dont on ne sait jamais, quand on le décide, ce que l’on pourra dire, et à qui : aurai-je dix étudiants enthousiasmés ou quarante, atones et ignorants ?

 

On m’avait raconté, à Tunis comment fonctionnait autrefois la mosquée-université des oliviers. Chaque maître avait son pilier – sa colonne de marbre. Ses étudiants se réunissaient autour. À cela se limitait l’organisation.

 

Bien sûr, ce n’est pas de la pédagogie sérieuse. Seuls s’en sortent les étudiants qui sont capable de choisir – ou d’abandonner – les cours qui les intéressent, ou qu’ils sont capables de suivre. De surmonter la gêne d’avoir pour condisciples des anciens quand eux-mêmes sont des débutants incertains de leurs talents. Surtout si le maître choisit de ne s’adresser qu’à ses fidèles. Et de quitter, nouveau bachelier bien dressé, la classe où l’on a des amis, des ennemis, des règles, un horaire, et d’être obligé de devenir brusquement un adulte.

 

Comme la démocratie, ce système est le pire, mais c’est le seul possible. Il en sortira, tout autant que des autres, des découragés qui abandonnent, des suivistes qui n’auront assisté qu’à des cours sur Flaubert, des gagne-petit. Mais à beaucoup, cela apporte quelque chose, aux étudiants comme aux professeurs qui sont obligés de choisir, chaque semestre, l’idée qu’ils vont suivre devant des étudiants imprévisibles. C’est peut-être cela, l’enseignement dit supérieur.

Maurice Courtois (2004)